dimanche 14 janvier 2018

Michel Bernard dans La Cause Littéraire







« Les sons et les mouvements de la nuit ne les inquiétaient plus. Leurs sens s’étaient habitués. Le hululement d’un hibou sur son territoire de chasse, suave et prenant, la solitude d’un chêne, son orbe découplé sur la nuit, le vol errant d’une chauve-souris, étaient les signes d’amitié de la forêt. Ils avançaient comme des ombres dans un rêve, et c’était le rêve de la jeune fille ».
 
Le Bon Cœur est le roman d’une jeune paysanne dont le prénom deviendra un nom, et dont le nom inspira historiens, musiciens et cinéastes : Jeanne d’Arc. De Jules Michelet à Georges Duby, de Joseph Delteil à Anatole France, de Dreyer à Victor Fleming et Otto Preminger, de Robert Bresson à Jacques Rivette, sans oublier Gérard Manset, avec une passion commune, saisir le visible et l’invisible, faire voir ce qui a fait de l’histoire de Jeannette de Domremy une histoire française. Le Bon Cœur fait entendre l’histoire de la reconquête du Royaume de France, et une voix singulière et unique, qui résonne, comme celles qu’elle a entendues avant de se lancer dans cette aventure, les voix font parfois l’Histoire et souvent les grands livres. Cette voix singulière est aussi celle du roman de Michel Bernard, il conte avec finesse cette folle épopée française, qui la conduit à Orléans et à Reims, avant de tomber dans les mains des Bourguignons et des Anglais, cette traversée de l’Histoire, et des histoires, cette guerre de reconquête et de mots, où l’héroïne insaisissable et troublante écrit une Histoire nouvelle, les armes à la main.
 
« Tout le monde cherchait à la rencontrer puisqu’elle avait la faveur du roi. On lui prêtait des pouvoirs extraordinaires, on racontait qu’elle avait guéri des enfants, refermé des plaies par application des mains, qu’elle savait l’avenir. On disait qu’elle avait fait du petit roi à la triste figure un autre homme, qu’il avait changé, comme si la vie l’avait traversé ».
 
Le Bon Cœur est ainsi traversé par la vie, tout l’art du roman est souvent dans cela, dans cette manière d’être traversé par ces instants de vie, ces frémissements, où la nature veille à son enchantement, dans cette façon de convoquer l’Histoire, et de lui faire rendre raison. Michel Bernard chevauche aux côtés de Jeanne en armure, œil vif, gestes précis, parole rare, regard transperçant, un regard habité qui embrasse la nature endormie par la domination anglaise, et embrase les hommes qui la suivent. L’écrivain accompagne ses gestes et sa geste, suit pas à pas sa folle détermination, il sait que rien ne la détourne de la mission qu’elle s’est donnée, qu’on lui a donnée, et Le Bon Cœur est l’écho romanesque de cette aventure, de cette force singulière du bon sens et du bon cœur (1). Jeanne parle peu, mais agit, ne cesse d’agir, et finalement d’écrire son destin et celui de la France.
 
« Elle avait toujours ce regard droit qui le troublait. Il songea que ce soir, quand elle ne serait plus que cendres et poudre, elle continuerait de le regarder ».
 
Michel Bernard est fidèle à l’Histoire, il ne la réécrit pas, il l’écrit, non comme un historien, mais comme un romancier attentif, au style acéré et précis, il dresse le portrait de cette jeune femme qui renverse le XVe siècle, le portrait d’un pays qu’elle traverse, attentif au motif, à cette nature qui comme les hommes va se réveiller, attentif aux batailles, aux complots, aux résistances et aux soumissions. Les cœurs s’ouvrent comme les villes délivrées, les visages s’éclairent, les mains se lient, et Michel Bernard en peintre romancier en saisit les éclats, les visions, les ombres qui glissent sur la Loire, et cette jeunesse qu’elle offre aux soldats qui la suivent jusqu’aux flammes de la tragédie.
 
Philippe Chauché
 
(1) Jules Michelet, Histoire de France (citation qui ouvre le roman de Michel Bernard)


http://www.lacauselitteraire.fr/le-bon-coeur-michel-bernard

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