« Depuis une époque de ma vie, le mode du secret s’est imposé. Cela s’est fait sans que ce soit un choix. Alors ce que tu vas lire sera douloureux, comme il est douloureux pour moi de l’écrire. Tu vas découvrir la face cachée de celle avec qui tu vis depuis des années, qui en a été aussi heureuse que parfois dépitée. La vie a décidé que je devais faire face à mes fantômes ».
Trois lettres nomment les fantômes d’Oyana : ETA, Euskadi Ta Askatasuna, Pays basque et liberté. Trois lettres qui ont hanté l’Espagne et par rebond la France de 1959 au 3 mai 2018, date de la dissolution de l’organisation terroriste basque. Fantômes enfouis, qui vont ressurgir lorsque Oyana lit dans un journal de Montréal l’annonce de la disparition de l’organisation clandestine. Fantôme de son père, de l’attentat le 20 décembre 1973 contre Carrero Blanco, le bras droit de Franco, qui de toute évidence devait lui succéder, assassiné dans l’attentat le plus spectaculaire organisé par ETA. Fantômes de cette mère et de son enfant, victimes involontaires d’un attentat de l’ETA qui visait des policiers à Saint-Sébastien en Espagne, Oyana était du commando.
Fantômes de ses parents, de ses amis, des noms, des plages de Ciboure, de l’exil vers le Mexique, de la peur, de la douleur, de la violence et de lutte armée, fantôme de son nom Etchebaster changé en Sanchez, Oyana devenue Nahia. Alors, Oyana repart, rentre au pays, s’offre un nouvel exil, mais dans l’autre sens, abandonne sa nouvelle vie avec Xavier, sa nouvelle famille, et révèle tout à son compagnon, dans cette lettre qui devient son roman. Roman du mensonge et de l’exil, roman de l’identité dissimulée, roman de tant d’histoires et de rêves enfouis, que vivifie l’Histoire, c’est tout cela, Oyana, et c’est d’une saisissante réussite.
« J’ai trouvé le document officiel de la dissolution d’ETA sur le web. C’est comme un second billet pour la liberté. L’impression d’en avoir été, d’en être sans en être. Toujours entre deux, oui c’est ça, c’est exactement la place que j’occupe depuis toujours : deux pères, deux pays, deux passés mais un seul avenir incertain ».
Oyana vient de loin, c’est une vague qui entraîne avec elle une mémoire partagée d’Anglet à Bilbao, de Ciboure à Saint-Sébastien, la mémoire d’années de braise et de plomb, d’années folles où les corps s’effondraient (829 morts, dont 343 civils et 486 militaires et policiers), où les armes parlaient et radotaient, où les menaces et les règlements de comptes s’aimantaient, où les mythes devenaient un prêt-à-penser, et un prêt-à-agir. ETA d’un côté, les commandos plus ou moins officiels de l’autre, une langue, contre une autre, une mémoire contre d’autres, une douleur qui se partage. Eric Plamondon a écrit le roman d’une époque, d’un temps de guerre, avec justesse et finesse. Un roman très bien renseigné, qui dit ce qui doit l’être, qui romance ce qu’il fallait raconter, en nommant l’horreur, la douleur et la vengeance, roman d’un écrivain habité par le Temps et ses soubresauts. Eric Plamondon offre avec Oyana une saveur et un savoir unique, en un condensé d’Histoire, un précipité romanesque, où la vengeance, la violence et la vérité qui sommeillaient vont se réveiller.
http://www.lacauselitteraire.fr/oyana-eric-plamondon-par-philippe-chauche
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