mercredi 29 mai 2019

Bonnard dans La Cause Littéraire



« Bonnard remplissait ses agendas comme des carnets de notes et de croquis, les ayant toujours à portée de main pour saisir un motif sur le vif, poursuivre une recherche graphique ou écrire une pensée, à côté d’annotations triviales de la vie de tous les jours », Céline Chicha-Castex, Les agendas de Bonnard.
 
« Le dessin c’est la sensation. La couleur, c’est le raisonnement », Pierre Bonnard, Observations sur la peinture.
 
Nous sommes en 1927, le 3 octobre, le peintre va avoir 60 ans, il a acheté Le Bosquet au Cannet, ce sera sa maison et c’est aujourd’hui son musée. Il peint, il dessine, et tient son agenda, on y lit : « beau temps doux très beau paysage bleu du port. Couleur – lumière – couleur – couleur ». Tout est là, toute peinture peut advenir : le ciel, le port, la lumière, les couleurs seront au rendez-vous, le peintre est doté d’une vue sur-aiguisée, il voit cette lumière, qui demain, loin du motif, sera sa lumière unique, ses lumières.
Mais ce ne sont pas des carnets préparatoires, c’est tout autre chose, ce sont des carnets de présence au temps. L’œuvre d’art, un arrêt du temps (Pierre Bonnard, 16 novembre 1936, Observations sur la peinture, L’Atelier Contemporain, 2015).
 
 
 
1929 : Pierre Bonnard est à Arcachon, sur son carnet au mois de janvier il y dessine le port, des bateaux et une barque et il note : « brumeux froid brouillard et beau ». Rien de plus simple, rien de moins démonstratif, trois mots, deux dessins au crayon noir, et la vie s’illumine. Le geste est précis, la notation parfois surprenante, le peintre se contente de saisir et de se saisir de ce qu’il voit. Les voiles d’un bateau, le visage de Marthe, les esquisses de son corps, Marthe, qui sera sa régulière et profonde inspiration.
 
Le 8 novembre 1930 : « beau brumeux – dessin – la main légère – formes de l’ombre », un an plus tard, au mois d’avril « tout effet pictural doit être donné par des équivalents de dessin. Avant de mettre une coloration, il faut voir les choses une fois, ou les voir mille ». Au Cannet sous ses yeux, des arbres : cerisier, amandier, saule, mimosas, glycine, rosiers, les toits rouges, la mer en contrebas de la colline et le ciel, une palette de bleus.
 
« Si Bonnard a choisi le dessin, c’est que celui-ci est devenu de plus en plus pour lui le sismographe aussi bien du mouvement intérieur que du choc intérieur, de la secousse de l’émotion originelle », Alain Lévêque, De l’apparence à l’apparaître.
 
Pierre Bonnard par Henri Cartier-Bresson
 
 
« Ces petits agendas, qui sont des trésors d’émotions, ont accompagné Bonnard de 1927 à 1946 ; ils ne sont pas à proprement parler le journal de sa vie, ils sont plus que cela », Véronique Serrano.
 
Cette somptueuse édition donne la part belle à ces carnets au fil des jours, reproduits en pleine page aux côtés de tableaux de Bonnard, et par le miracle de l’imprimerie, nous sommes face aux regards qu’ils nous portent – on sait que ce sont les tableaux qui nous regardent et non l’inverse : Les Voiliers, Régates, vers 1932, une MarineCannes, 1931Le Bateau jaune, 1938, Nu à la chaise, vers 1935-1938Bord de mer. Champ rouge, vers 1938, et ce ne sont qu’explosions de couleurs, rouges, jaunes, bleus et gris, la peinture est un mouvement permanent, comme chez son ami Matisse, et comme chez Cézanne, il y a des incendies qui couvent sous la matière des couleurs.
 
Le 13 février 1936, Bonnard note pluvieux, le lendemain, nuageuxla nature vidée de son utilité, un peu plus tard, ce sera beau, rose, vert, bleu orange des dessins de Marthe, sa grande et belle nature. Le peintre n’a jamais été aussi vivant.
 
 
 
L’Atelier Contemporain publie également : Au Pont du Diable, Croquis 1990-2010 d’Alexandre Hollan (2019, 25 €) : « Très souvent, tout à coup je ressentais la vie qui animait une personne. C’était une impression très vivante et chaque fois en mouvement ». La préface de ce beau carnet de dessins est signée Yves Michaud : « (Non) ses dessins sont là pour voir et faire voir, pour sentir et saisir des moments de vision et de sensation, dans une étonnante absence de distance avec les personnages dessinés ». Le peintre des arbres dessine ce qu’il voit, loin du tumulte, dans la précision du regard. La main est libre, comme chez Bonnard, une ligne, une courbe, et voici une femme au visage dressé, un chien, un homme qui fume, nous sommes au bord de l’Hérault, au pied du Pont du Diable, en plein soleil. Alexandre Hollan saisit sur le vif, un profil, un visage, un corps allongé : « Une ligne, c’est tout le dessin », Yves Michaud.
 
Philippe Chauché
 
 
 
 
 

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