« Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité, à savoir que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité », Epicure, Lettre à Ménécée, traduction de Octave Hamelin revue par Frédéric Schiffter.
« Quand tu écris cela, je me demande si tu le penses vraiment tant la réalité est tout autre. C’est nous qui ne sommes rien pour la mort car même notre corps une fois sous terre ne s’appellera plus cadavre. Il deviendra un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue. C’est parce que nous savons que la mort nous anéantira un jour tandis que nous nous laissons aux séductions de la vie, qu’elle nous obsède tant. Nous la voyons œuvrer sans relâche en temps de guerre comme en temps de paix », Ménécée à Epicure, traduction de Frédéric Schiffter.
Frédéric Schiffter se présente comme traducteur d’une lettre inconnue de Ménécée, adressée à Epicure, que l’écrivain pourfendeur du Blabla et du chichi des Philosophes (1), s’est procurée. Lettre issue d’un fichier numérisé par la Bibliothèque Nationale, et provenant d’une fouille d’archéologues. Elle s’ouvre par cette phrase : « Ménécée à Epicure, salut », en réponse à la première missive : « A Ménécée, salut». Du tac au tac, dirions-nous ! La lettre d’Epicure, également connue sous le nom de Lettre sur le bonheur, affirme quelques principes de vie, s’appuie sur quelques conseils avisés du Maître à son disciple. Conseils de vie que Frédéric Schiffter retourne à la manière de Montaigne (2) qu’il fréquente en vagabond lettré et amusé – Comme l’effrayant dans la mort, n’est autre que « son naturel », au lieu de la chasser de notre esprit, mieux vaut en faire l’invitée permanente de nos plaisirs et de nos jours…–, ou encore de Schopenhauer. Les invitations et les bon conseils d’Epicure : ne pas craindre les dieux – ne pas craindre la mort – bien choisir entre nos besoins et nos désirs, ceux qui sont nécessaires et profitables à notre équilibre – savoir agir avec discernement, trouvent de savoureuses réponses pétries de style.
« Comment ne serions-nous pas effrayés par cette rôdeuse qui met dans le même sac ce qui, à nos yeux de mortels, a de la valeur et ce qui n’en a pas ? », Ménécée à Epicure, traduction de Frédéric Schiffter.
Les angles sont tracés, les principes et les règles « du bien vivre » posées, et tout portait à croire qu’à ces doctes injonctions, reposant notamment sur la prudence, Ménécée préférerait le silence. Mais c’était mal le connaître, et mal connaître le Philosophe sans qualités, qui fréquente les pires dynamiteurs de la pensée hédoniste, et du bien être, qui prospèrent en ces temps sur l’Agora. La lettre à Epicure n’est pas un leurre, Frédéric Schiffter nous assure qu’il en a eu connaissance, par quelques avantages dont il dispose, notamment celui de bien écrire, de bien se faire entendre et comprendre et sûrement d’être bien renseigné. Plus Grec que jamais, le philosophe amateur de vagues et de surf (3), ne pouvait manquer une telle occasion de régler quelques comptes avec Epicure, mais aussi d’appuyer certaines remarques de son maître, et cela, en toute amitié. Car, il convient de réserver l’épée à ses pires ennemis. Cet échange épistolaire questionne, plus qu’il ne conclut, car on a affaire ici à deux penseurs de bonne composition. Les dieux et les croyances dont se parent les hommes est le premier exemple mis en avant dans cette lettre retrouvée : Le superstitieux dérange peut-être son entourage avec ses délires, mais il ne nuit qu’à lui même. Tout change quand une superstition est partagée par une foule –, la seule évocation de troubles d’une extrême violence qu’a connu la Syrie, cette machine de guerre redoutable, nous plonge dans une terrible actualité récente, les noms changent, les horreurs demeurent. L’art de vivre avec la mort, de s’en accommoder, de la redouter, de l’écarter tout en sachant qu’elle aura le dernier mot et la dernière sentence, habitent également cette lettre retrouvée – qui n’est rien pour nous –, le verdict est alors net et clair et n’aurait déplu ni à Schopenhauer, ni à Cioran, et encore moins à Clément Rosset que le philosophe balnéaire fréquente avec assiduité : « Je ne vois qu’une circonstance où la mort n’est pas à craindre et s’avère désirable : quand la vie laisse augurer plus de douleurs que d’agréments ». Ce voluptueux inquiet n’est autre que Frédéric Schiffter, le double contemporain de Ménécée, et cette lettre est nourrie de l’art de la flèche que nous admirons tant chez Gracian et Cioran.
(1) " Pas de pensée propre qui ne soit une appropriation, voire une expropriation ; pas de pensée nouvelle qui ne soit une reprise. C'est le style ou le ton qui fera, peut-être, l'originalité de ce que l'on écrit et qui, comme cela est souhaitable, fera l'agrément du lecteur. " Sur Le blabla et le chichi des philosophes - Perspectives critiques - PUF - 2002.
(2) " Car raisonner, avant tout, c'est douter, et notre doit porter davantage sur nos certitudes que sur les vérités. " Le Plafond de Montaigne - Milan - 2004
(3) " Nul ne surfe jamais deux fois la même vague. " Petite philosophie du surf - Milan 2005
(3) " Nul ne surfe jamais deux fois la même vague. " Petite philosophie du surf - Milan 2005
Philippe Chauché
ttp://www.lacauselitteraire.fr/menecee-le-voluptueux-inquiet-reponse-a-epicure-frederic-schiffter-par-philippe-chauche?fbclid=IwAR0PSwHCTvE2c_mzSOJk05_oOnBTegiDm6qtTrDOTh0VLRAsifyAZhzcEx0
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