« Il y a trop à regarder, à apprendre, à explorer, il y a trop à faire, ici. Il y a trop à vivre. Avec tout ça, pas une minute à soi pour rêvasser. De toute façon, les hommes qui s’occupent des vaches sont rarement de la catégorie des rêveurs, sauf dans les livres où il est question d’hommes qui s’occupent des vaches ».
Cow-Boy est le roman de ce regard, de cet apprentissage, de l’exploration du Nouveau Monde par Eugène, le grand-père de l’écrivain, parti aux Amériques avec son frère Louis, au début des années 1900. Des Alpes à la Californie, Eugène le Cow-Boy devient le héros du roman de son petit-fils. Jean-Michel Espitallier savait peu de choses d’Eugène, de son voyage, de son arrivée là-bas, de son travail avec les vaches, de sa vie, et de son retour tout aussi énigmatique. De tout cela, il a fait un roman éblouissant, qui donne vie à ce grand-père des ranches et des plaines.
Cow-Boy est un roman en technicolor, le roman de la naissance d’une nation sous les yeux d’Eugène, le roman des cow-boys, des vaches, des indiens, des coyotes, du désert, des chevaux, des braseros et des canadiennes de cuir gras, fourrées de peau de mouton. Cow-Boy est un western, qui respire la terre, les chevaux et les vaches, un roman grand écran, qui nous conte l’aventure d’Eugène, mais aussi mille histoires qui se croisent, et se télescopent, celle de ces colons qui ont fait l’Histoire, l’histoire des noms qui ont fait fleurir des villes, celle des crimes et des drames, des joies et des éblouissements. Histoire d’imaginer : « …des bruits de nuit, des bruits de ranch, on peut imaginer le tintement tristement régulier des clarines, un cheval qui s’ébroue derrière un hangar, des piétinements de sabots dans la paille… ».
Cow-Boy est un roman américain aux accents percutants et troublants, un roman musical, où résonnent les chansons de cow-boys (Home on the Range) et les standards de jazz et de blues. Un roman filmé en plans larges, en plans plus serrés, en plongées et contre-plongées, en traveling et arrêts sur image. Ces images d’Amérique que restitue l’écrivain : le miracle américain, une belle histoire pleine de salopards – Buffalo Bill, exterminateur de bisons ; Jeffery Amherst et ses couvertures infectées de variole qu’il fourguera en masse aux tribus Delaware ; Winfied Scott, grand architecte des marches de la mort des peuples cherokee ; Henry Ford, antisémite notoire, décoré par Adolf Hitler en personne ; mais aussi, les noms de pays : Orange (Connecticut), Hanover (Massachusetts), Athens (Géorgie), Clermont (Floride), comme autant de noms de romans. Cow-Boy est un roman du plan-séquence qui se déroule sous les yeux d’Eugène, dans son ranch, sur le chemin du retour où toute l’Amérique défile sous ses yeux, comme défilent les souvenirs de sa vie d’avant le grand saut dans l’inconnu. L’inconnu en Californie ce sont les bêtes qu’il garde, impossible de les compter, comme il compte les billets verts qu’il accumule pour plus tard. L’inconnu, Eugène vit avec, dans son ranch. Cow-Boy est le roman de cet inconnu qui, par le miracle de l’art du roman, se dévoile, et Eugène devient un ancêtre familier.
« Eugène n’a pas bâti de ville, ou alors il n’en a rien dit. Il gardait les vaches à perte de vue et les moutons au kilomètre, et le voilà qui trace sa route sans laisser de trace. Il ne va pas tarder à se faire aspirer en arrière au moment où il se croit sauvé de l’européenne anesthésie. Regarder dans le rétroviseur, ce n’est pas un truc de cow-boy ».
Cow-Boy est un roman en mouvement permanent, il galope comme un pur sang, et nous fait galoper avec lui. On traverse les Amériques de la Californie à New York comme l’on traverse la vie aventureuse d’Eugène : Le désert, les montagnes, et soudain c’est Albuquerque et le Río Grande. Jean-Michel Espitallier signe un roman étourdissant et éblouissant de richesses, son grand-père peut être fier d’être au cœur d’un tel chœur littéraire, d’une telle richesse inventive. Ce roman donne corps et âme à un disparu invisible, il redonne un nom à Eugène, il porte haut la mémoire et les mémoires d’un aventurier et d’un monde qui s’élève sous nos yeux avec ses miracles et ses crimes racistes. Jean-Michel Espitallier a l’œil d’un film director, d’un inventeur, d’un créateur de mondes aux multiples palettes colorées. Il donne vie à ce qu’il écrit, imagine et transforme, il multiplie les images, les évocations, il met en musique, par l’art si rare de la composition littéraire.
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