dimanche 12 juillet 2020

Sollers en peinture dans La Cause Littéraire


« Manet, Picasso ne sont ni modernes ni contemporains. Ce sont des dieux grecs, panthéistes et athées à la fois. Ils ne commandent rien mais font signe vers toute une palette de possibles, à faire vibrer ici et maintenant. Il n’est sans doute pas anodin que L’Éclaircie soit placée sous l’égide du Parménide de Martin Heidegger auquel Sollers emprunte les citations suivantes, autant de clefs pour comprendre la portée musicale de son écriture de la peinture :
« Un dieu grec n’est jamais un dieu qui commande, mais un dieu qui montre, qui indique.
Les dieux sont ceux qui regardent vers l’intérieur, dans l’éclaircie de ce qui vient en présence ».
 
Sollers, Rachet, ne sont ni classiques, ni modernes, ni contemporains. L’un écrit depuis toujours, sous la haute protection de déesses attentives, l’autre sait tellement bien lire et écouter les peintres, qu’il en devient écrivain. Sollers est en peinture depuis toujours, comme il est en musique, en littérature, et au cœur de la vie libre. Il faut simplement, lecteur agile, ne pas perdre de vue ce qui se découvre sous nos yeux lorsque l’on ouvre l’un de ses romans ou l’un de ses essais.
 
 
Olivier Rachet a tout lu, tout vu, tout entendu (il faut avoir l’oreille fine pour entendre l’écrivain, comme pour entendre les couleurs et les formes de Cézanne, sa respiration profonde) de Philippe Sollers. Entré au plus jeune âge en peinture, il n’a cessé romans faisant de s’en nourrir : L’adolescent que fut Sollers entre donc, comme par effraction, en peinture comme on entre au bordel. Des demoiselles d’Avignon rejoindront la danse ; mais pour l’heure seuls les peintres de l’amour sont convoqués.
Mais quels sont ces peintres qui habitent les livres de Philippe Sollers, et qui tracent cette nouvelle histoire, cette contre-histoire de l’art ? Monet, Nicolas Poussin – Je vois au-delà du visible… –, Titien, Rembrandt, Bacon – Il n’est pas anodin de peindre des déesses de l’amour, d’aller chercher comme modèle du Christ des hommes du commun ou de crucifier un pape –, Watteau, Courbet, Picasso – Les Demoiselles d’Avignon viennent confirmer Olympia et ressusciter les innombrables Vénus du Titien –, des peintres de l’art d’aimer sont ainsi invités au bal du roman, et les titres des livres de Philippe Sollers pourraient être donnés à des tableaux embrassant tous les siècles. Car la peinture vue, entendue, écrite par Philippe Sollers ne s’embarrasse pas d’une Histoire de l’art, elle l’embrasse, la détourne, la terrasse, l’embrase, et contrairement à l’adage : qui trop embrasse, bien étreint. Les étreintes seront justement le centre tellurique des toiles qui peuplent ses romans, les corps libres des peintres le sont tout autant que leurs modèles, et les héroïnes qui dansent entre les lignes des romans.
 
 
 
« Conseils à un jeune poète : commencez par vous recueillir devant Les Chants de Maldoror et les Illuminations ; méditez, reposez, démarrez ! Recommandations à un artiste contemporain adepte de vidéos, d’installations et autres fredaines : s’imprégner des rayons de Turner et des touches impressionnistes de Monet, s’arrêter devant Le Déjeuner sur l’herbe et observez le miroitement de l’eau ».
 
Sollers en peinture, est un corps-à-corps avec les romans de Philippe Sollers, un corps-à-corps avec les peintres, qui prennent les corps très au sérieux, les corps peints, les natures réveillées, et le premier qui s’avance, c’est Picasso, suivi par Bacon. D’autres peintres s’imposent naturellement dans les romans et les écrits de Philippe Sollers, Goya, le bordelais amoureux d’une laitière, Giorgione, le vénitien éternel, Manet, le plus torero des peintres parisiens, Renoir, l’aimé des dieux Grecs, et Olivier Rachet note d’expérience éclairée que l’écriture de Sollers prolonge la peinture : le roman devenant une continuation des tableaux par d’autres moyens. La peinture est une écriture chez Sollers, ajoute Olivier Rachet, ni une première, ni une seconde, mais une nature d’écrivain : Il peint en écrivant. Olivier Rachet prend notamment appui sur trois romans, HParadis et Paradis 2 – les commissaires-priseurs de la critique les ont jugés illisibles –, trois romans où le trait du souffle fonde l’écriture. Des romans à lire à haute voix, dans le rythme, ils s’écrivent sous nos yeux, comme s’il s’agissait de peintres en action, De Kooning et Picasso, pour prendre deux exemples, que Sollers admire : voir-écrire participent d’un même geste. Point central de cette contre-histoire de l’art, le Temps, qui n’a rien de chronologique chez Sollers, ce qui ne l’empêche pas de savoir en quels temps ces peintres ont vécu. Point de lien à des courants, à des chapelles, à des écoles, mais un lien charnel de peintre à peintre, de modèle à modèle. Le Temps préside à ces alliances d’esprits libres et les musées le prouvent, quand ils font se rencontrer des peintres, quand ils les laissent dialoguer entre eux, mais aussi avec quelques esprits libres du verbe et du corps, Rimbaud, Lautréamont, pour ne citer que ces deux comètes.
Sollers en peinture est un livre inspiré, illuminé, le livre d’un voyant, comme le sont Rodin et Picasso, Rimbaud et Heidegger. Olivier Rachet voit, et révèle ce qu’il admire, il fait voir l’écrivain et ses peintres, il fait entendre leur musique, leur voix unique et radicale, cette illumination : Les astres se souviennent avoir été illuminés par une Madone de Botticelli, un ange de Fra Angelico, une Vénus de Titien.
 
Philippe Chauché


https://www.lacauselitteraire.fr/sollers-en-peinture-une-contre-histoire-de-l-art-olivier-rachet-par-philippe-chauche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire