samedi 19 septembre 2020

Roland Jaccard dans La Cause Littéraire


« Auden est mort à Vienne en 1973, une ville idéale pour mourir. J’y suis d’ailleurs mort plusieurs fois. Auden voulait savoir la vérité sur l’amour. Il pensait, tout en présumant qu’il avait tort, que l’amour dure toujours. Ce ne fut pas le cas » (Wystan Hugh Auden, Dis-moi la vérité sur l’amour).

Roland Jaccard met de l’ordre dans sa bibliothèque. Il note quelques brèves remarques éclairantes sur des livres anciens ou récents, qui le troublent, le renvoient à sa vie, à ses souvenirs doux et amers, à ses incertitudes, ses échecs, à ses amours perdus, une rupture entraîne le besoin de revenir sur soi-même, écrit-il, en ouverture de cette confession amoureuse. Roland Jaccard est un oisif qui écrit de très courts romans, vifs, élancés, nostalgiques, tragiques, amoureux, des courts romans, comme l’on dit des courts métrages, qui flambent comme flambent les aphorismes de son ami Cioran, le journal d’Amiel, ou les pensées acides de Schopenhauer.

La Liaison dangereuse (1) qu’il a nouée avec Marie a elle aussi pris feu, un brasier dont des flammèches lardent encore le cœur et la plume de l’écrivain des vertiges (2). Le gentil garçon (3) sait qu’il ne se baignera plus jamais à la piscine Deligny en compagnie de quelques dandys amateurs de ping-pong, qui savent que pour écrire, il faut être leste, léger et mordant. Roland Jaccard écrit sur des écrivains intempestifs qu’il fréquente, depuis qu’il sait lire une arme à la main, ceux qui ont pris quelques rides avec lui, ou ceux qui pourraient être ses enfants et même ses petits-enfants s’il avait une descendance de sang, et de lettres. Son œil veille, et en quelques phrases il saisit la force, l’élégance, l’originalité, l’enchantement des écrivains de sa bibliothèque. Ils devraient être reconnaissants d’être aussi bien lus, il en va de même des films qu’il évoque en quelques phrases, en quelques brasses (The Swimmer) et il se demande si comme Burt Lancaster il ne court pas à sa perte.

« Les écrivains sont des damnés chanceux : il y a toujours une sylphide pour veiller sur eux. Ce n’est plus mon cas. Ma désinvolture m’a laissé seul face à moi-même. J’aurais tort de me plaindre : je n’y suis pas en si mauvaise compagnie. Tout au moins quand je relis Dafu » (Yu Dafu, Le Naufrage).

Les écrivains et les sylphides habitent toujours avec beaucoup de grâce et de légèreté les livres de Roland Jaccard, même si parfois, fidèle à sa mauvaise réputation, il en égratigne certains. Dis-moi la vérité sur l’amour est un heureux badinage, qui parfois tourne à l’orage. Un livre d’admiration et d’un impossible oubli. On y croise Court vêtue (Marie Gauthier), « L’amour devrait être réservé à l’adolescence… » ; ou encore Miss Lonelyhearts (Nathanaël West) ; mais aussi, Centre (Philippe Sollers), « J’avais souvent médit de lui, mais que serait la littérature sans la médisance et le snobisme ? » ; C’est tout ce que j’ai à déclarer (Richard Brautigan), « Il donnait l’impression de se foutre de tout et pourtant il était capable de faire tenir une tragédie grecque dans un dé à coudre, disait Philippe Djian » ; et Ayn Rand ou la passion de l’égoïsme rationnel (Alain Laurent). Des romans et des portraits, des biographies, des éclats et des admirations avec toujours la présence de Marie, comme une ombre qui se dessine, désormais insaisissable : le Portrait de Marie Céhère.

Philippe Chauché

 (1) Une liaison dangereuse avec Marie Céhère (L’Éditeur)

(2) Vertiges (Editions Distance)

(3) Confession d’un gentil garçon (Pierre-Guillaume de Roux)

https://www.lacauselitteraire.fr/dis-moi-la-verite-sur-l-amour-roland-jaccard-par-philippe-chauche

 

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