« Certains poètes n’écriront jamais le moindre vers, d’autres deviendront des météores ou des planètes dans la galaxie littéraire. Chaque destin reste à écrire » (Liminaire de l’éditeur).
« Revues, livres et dictionnaires s’entassent tandis qu’entre crépitement et silence, le sculpteur astronome rêve à Saturne. Il boit un whisky et lit Paul-Jean Toulet, Si tu as peur de la mort, n’écoute pas ton cœur battre la nuit (Le sculpteur du temps, Éric Poindron).
Éric Poindron ressemble à s’y méprendre (heureuse méprise) au cinéaste franco-chilien Raoul Ruiz (1) : même imaginaire foisonnant, même fascination pour les livres magiques, le fantastique facétieux, même passion pour les boîtes à musique, les machines à remonter le temps, les pirates, les magiciens, les collections, les cabinets de curiosité et L’esprit de l’escalier (2), ce qui n’est pas dit, finit par être écrit. Il suffit pour s’en convaincre, de voir ou de revoir les films du réalisateur voltigeur, par exemple : L’Hypothèse du tableau volé, Les trois couronnes du matelot, La ville des pirates, Trois vies et une seule mort, ils ne ressemblent à aucun autre film de cinématographe, par leurs trouvailles, leur originalité, l’effervescence baroque qui les illumine, la croyance qu’ils portent aux images animées, 24 éclats par seconde, comme au tout début du cinématographe.
Même foisonnement chez l’écrivain, qui lui aussi opère par rapprochements, par écarts, par associations d’idées, par exemple, tirés de ce livre virevoltant : Écriture ordinaire – Lu un étonnant livre de fantômes, de bibliothèques étranges et de châteaux peu recommandables. Confession fantasmagorique à la manière de Lewis Carroll inspirée par la dernière nuit de l’an : J’ai la croyance ingénieuse en une foi kaléidoscopique, mais ne le répétez pas. Autre point commun entre le manieur d’images et l’inventeur de phrases : une incessante création, multicolore pour l’un et l’autre, inspirante et inspirée par un savoir millénaire et saisie d’une saveur de poète cuisinier. Ruiz faisait des films parfois avec des bouts de ficelles, Poindron écrit des livres avec des coquillages, des papillons de nuit, des chapeaux et des grimoires, des mots rares, des ombres chinoises, des collages. Tous les deux sont passés maîtres dans l’art de transformer la pellicule et le papier en océan imaginaire, en grenier luxuriant, en jardin bruissant et odorant. Le Fou et la Licorne ne se lit pas d’une traite, il se picore, il incite au vagabondage entre les pages, à se perdre d’un récit à l’autre. Le livre est une bibliothèque aux murs qui se dérobent, aux étagères invisibles, aux miroirs sans tain. Lorsqu’il écrit, Éric Poindron se place sous haute protection inspiratrice : Jules Verne, Raymond Roussel, Marc Twain, Borges, et tant d’autres, de singulières présences qui ouvrent de nouveaux horizons, de nouvelles aventures, puisées dans son enfance, dans sa jeunesse, dans ces frémissements qui ne cessent de l’émouvoir, quand la langue frémit, la vie pétille.
« Marcher sur les pas d’un écrivain, c’est dénicher des secrets pour mieux en déposer à son tour » (Biblionomadie).
« Les rubans sont à la machine à écrire ce que l’aiguille est au gramophone » (Miscellanées mécascriptophiliques, Azerty & compagnie).
Éric Poindron écrit comme s’il jouait à colin-maillard ou à la marelle, et s’il se laisse bander les yeux, c’est pour mieux nous faire voir ses secrets, nous dévoiler ses trouvailles, il ne jette pas de palets ou de cailloux dans les carrés assemblés de sa marelle, mais des mots et des phrases qui rebondissent d’une page à l’autre. C’est un écrivain qui fourmille d’idées, d’histoires, de télégrammes, de clins d’œil, de souvenirs, d’aphorismes, de rêves, d’invitations à la rêverie, et à la lecture. Éric Poindron est un montreur d’historiettes, comme il y avait dans les villages des montreurs d’ours, un poète courtois, un troubadour, un joueur de dés à la manière de Rutebeuf : il lance une, deux, trois phrases, et invente sur le tapis une histoire qui se glissera dans un livre de fables, qui deviendront légendaires.
« Il est l’heure de se remettre à écrire. Il est très tard pour écrire mais il n’est jamais trop tard pour écrire ».
Philippe Chauché
(1) Cinéaste né au Chili, exilé en France après le coup d’état militaire du 11 septembre 1973, pays dont il prend la nationalité, et qui devient son pays cinématographique notamment grâce à l’Institut National de l’Audiovisuel, laboratoire de création unique dans les années 70 et 80. Il a quitté la terre de Méliès, de Proust, et de Robert Louis Stevenson, le 19 août 2011.
(2) L’esprit d’escalier, Raoul Ruiz, Coll. Alter Ego, Fayard, 2012
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