mercredi 1 septembre 2021

Mon maître et mon vainqueur de François-Henri Désérable dans La Cause Littéraire



« Le ravissement a deux acceptions : celle d’enchantement, de plaisir vif, mais celle aussi d’enlèvement, de rapt. Et c’est précisément cela que depuis quelque temps Tina éprouvait, le sentiment d’être enlevée à sa propre vie : celle d’une femme qui aimait un homme, qui lui était fidèle, et qu’elle allait épouser ». 

Mon maître et mon vainqueur est un roman d’amour vif, éclairé de ravissements dans ses acceptions. Un roman de raisons, et de déraisons, un roman où le narrateur témoigne devant un juge d’instruction et son greffier, de ce qu’il sait de son ami Vasco, et de Tina qui sera le centre tellurique de cette passion. Vasco, interpellé pour avoir tiré, sans grandes conséquences, sur son rival Edgar, qui épousait Tina, alors qu’il voulait ne pas cesser de la posséder, tiré avec le revolver acheté lors d’enchères fantasques, que braqua Verlaine sur Rimbaud, tout un roman ! Une histoire d’amour qui saisit Tina et Vasco et qui ne cesse de bouleverser Edgar. L’art romanesque est souvent possédé, enchanté, par des histoires d’amour, de trahisons, de renoncements et de vengeances. Mon maître et mon vainqueur est un roman enflammé d’amour. Tina prend littéralement feu dans les bras de Vasco au sous-sol de la BnF. Mon maître et mon vainqueur est un roman où des êtres se rencontrent et se donnent sans pudeur, faisant conjuguer la volupté avec le secret et les regrets, un roman charnel, placé sous le charme de ses personnages, qui ont un corps et cela s’entend, et le style de François-Henri Désérable nous offre le bon goût du corps et des corps romanesques. Vasco entraîne Tina à la BnF et lui montre les épreuves corrigées des Fleurs du mal, l’exemplaire original d’Une saison en enfer, la Bible de Gutenberg, témoins avec d’autres livres rares et uniques de leurs ardeurs. On assiste aussi à un fric-frac, le cœur de Voltaire subtilisé pour l’amour de Tina. On séjourne dans la chambre 42 – Paul Verlaine – de l’hôtel Arthur Rimbaud : aux âmes dépassionnées la passion est obscène. Mon maître et mon vainqueur est un roman d’aventure amoureuse et d’amour aventurier. Son adresse à ses lecteurs pourrait être : au cœur de ce roman, des livres qui enflamment les cœurs et les corps, et un cœur qui les unit. 

« Pour lui raconter cette histoire – la raconter au juge, c’était la raconter au greffier –, je convoquais mes souvenirs, or mes souvenirs étaient passés au prisme déformant de la mémoire, et je songeais qu’il pouvait bien y mettre tout son zèle, le greffier, et taper scrupuleusement, consciencieusement chacun de mes mots, ça n’était jamais qu’au passé recomposé qu’il la mettait par écrit, cette histoire ». 


Mon maître et mon vainqueur est un passionnant périple en mer agitée de relations amoureuses, dans cette forte houle se déploie le roman, comme une voile tendue. François-Henri Désérable conjugue avec l’agilité, l’adresse et la force de l’hockeyeur qu’il fut, le roman et la poésie qui nourrissent ce roman. Vasco en est épris de poésie et de poèmes, et dans son cahier, qui donne son nom au roman, il en a recopié plusieurs, empruntés, inventés, transformés, dédiés à Tina, et qu’elle pourrait fredonner. Ces poèmes, ces haïkus, sont devenus des pièces à conviction romanesque : Ni Colt ni Luger / Ni Beretta ni Browning / Bois ta coupe Edgar. François-Henri Désérable glisse dans l’histoire qu’il imagine, comme il glissait, patins aux pieds, sur la glace, il virevolte, se retourne, repart d’un nouvel élan et paraît ainsi s’envoler. Ce roman au passé recomposé confirme tout le talent narratif de l’écrivain voltigeur, sa passion pour le récit, l’intrigue heureuse et amoureuse. Tout y est fluide et léger, tout y est lumineux, dans la joie ou les tensions vives. François-Henri Désérable n’a qu’un seul maître avoué : le roman, à la manière de l’amour chez Proust, où l’espace et le temps sont rendus sensibles au cœur. 


Philippe Chauché 

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