mardi 16 novembre 2021

En mémoire d'une saison de pluie de Fouad El-Etr dans La Cause Littéraire

« … tout flambait, nous, les bûches sur les chenets, et dans le ciel, après la pluie, les éclaircies. De temps en temps les litanies du vent comme un rire de singe tombaient du toit, soulevant l’esprit des bois et des oiseaux de la forêt qui les habitent… ». 

En mémoire d’une saison de pluie est un luxuriant roman d’amour et d’amitié, un roman de légèreté, et de grâce, comme le sont les romans inspirés. Le narrateur et ses amis séjournent au Bois Clair, une maison de famille qui s’ouvre sur des bois propices aux plus folles escapades amoureuses. Le Bois Clair inspirante, le Bois Clair captivante, vivifiante, c’est de cette maison qui tremble sous les âges et les blessures du temps, que va naître l’amour et la nostalgie de ces instants bénis que partagent les trois jeunes gens. En mémoire d’une saison de pluie est un roman où la forêt vibre, enflamme le narrateur et son amie, où les arbres et les animaux furtifs, l’illuminent. Prouesses du style et de la langue chatoyante de Fouad El-Etr, qui rendent ce roman troublant, irradiant, sensuel, comme l’est la passion que porte le narrateur à sa jeune amie, et l’amour de celle-ci pour ses deux complices de passions. Il y aura les instants heureux partagés devant le foyer de la cheminée, les rêves, les longues promenades en forêt, sous une pluie complice, et les éclairs qui strient le ciel et les peaux. Il y aura aussi la disparition des deux pôles de ce trio, cette étrange et troublante complicité des morts – Seul un mort peut faire l’éloge d’une morte –, une magnifique cérémonie des adieux à l’aimée, où l’ami suicidé lui donnera un dernier signe de vie. Les morts de ce roman ne disparaissent pas, ils sont saisis d’éclats qui les rappellent à la vie, ils vivent dans l’au-delà des mots. Il y aura aussi un cerf captif, que les heureux amants du temps retrouvé, délivrent des pièges des bois. Il y aura les temps heureux, qui ne cessent d’éblouir ce roman comme un soleil levant. 

« Six beaux jeunes hommes qui furent ses amants, ou ses admirateurs, la porteraient à bout de bras et la feraient danser en l’air dans son cercueil, la balançant et la berçant de droite à gauche, et de l’avant à l’arrière, comme un esquif les vagues de la mer, lui murmurant le bruit du vent dans les feuilles en guise de berceuse… ». 

En mémoire d’une saison de pluie est un éblouissant roman de vie et de sensations, de sentiments et d’admirations, de corps qui s’enflamment et de mémoires qui flamboient. Un roman où les phrases s’enivrent et nous enivrent par leurs modulations, leurs mélodies, leurs envolées, leurs éclairs et leurs éclats, leurs étourdissantes arabesques qui se déploient au fil du récit romanesque. En mémoire d’une saison de pluie est un roman qui foisonne d’idées et de sensations, un roman que l’on lit en le sentant, en le ressentant, un roman à fleur de peau et à fleur de cœur. Quand on sait que Fouad El-Etr est aussi poète, mais également traducteur de Cavalcanti, de Dante, de Buson, de Keats, et de Yeats, on comprend mieux l’étendue de son imaginaire romanesque, un imaginaire qui se saisit du réel, du souvenir, de l’instant vécu et partagé, pour les transcender, leur donner une nouvelle vie, une heureuse résurrection, un déploiement éblouissant, que cela soit dans la joie des corps enchantés ou dans la douleur des corps brisés. 
Ce roman est traversé par une force évocatrice rare, une richesse chatoyante de phrases, une passion pour les mots choisis, les belles évocations, les émotions à fleur de peau. En ces temps, où prime souvent la littérature maigre, frappée d’un régime littéraire sans sel, sans sucre, sans muscle, sans imagination et sans grâce, Fouad El-Etr est un écrivain habité de littératures, donc d’amour, de sensualité et d’admirations, en somme un écrivain riche de saveurs multiples, et de senteurs troublantes.

« Comme elle me fut longue à venir cette phrase qui conduisit, par ellipses, pénombres et mots interrompus, à nos premiers silences, où se noua pour nous comme un grimoire secret la grammaire de l’amour, à l’orée de ces pluies dont nous savions peut-être, où nous ne le savions pas encore, qu’elles nous apporteraient un nouvel automne, déjà plus fragmentaire et feutré par les ans, le taciturne et sombre écho des précédentes ». 

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