mardi 11 janvier 2022

La Tencin, Femme immorale du 18e siècle par Claire Tencin dans La Cause Littéraire


« C’est à son nez que j’ai vu sa capacité à distinguer le vrai du faux. Ce flair qui distingue les fortes personnalités des plus faibles. La capacité à sentir d’instinct à qui on a affaire ». 

« Il se dégage de son regard volatil l’enthousiasme d’un esprit agité et l’appétit d’un être que l’on a affamé de nourritures terrestres ». 

Pour raconter la vie virevoltante de Claudine Alexandrine de Tencin, il faut se doter d’un style qu’il l’est tout autant. Pour se glisser dans la peau et les mots de La Tencin, il ne faut pas douter des forces de l’admiration. Premier acte de cette admiration : son identité, Claire Tencin s’est approprié le nom de cette salonnière de haute voltige, volé dans la tombe de l’Histoire où on t’a enfermée arbitrairement comme ton père t’avait enfermée. Nous sommes dans le cœur tremblant du XVIIIe, corps à cœur, où dans les lits et les salons se nouent intrigues, et jeux de pouvoir, la peau s’accorde au verbe, et Alexandrine de Tencin en fait ses Académies. Alexandrine de Tencin y noue des amours, et des amitiés, elle se lie, sans jamais y perdre sa liberté de mouvement, de verbe et de corps. 

Premier acte de ce roman grisant : son enfermement au couvent par son père, retirée du monde durant treize ans, avant de retrouver sa liberté, c’est en femme libre qu’elle va conquérir le monde, et les hommes. Leurs noms qui sont eux aussi des romans : Bernard Le Bouyer de Fontenelle, Matthew Prior, l’abbé, son cher abbé Dubois, Philippe d’Orléans, le chevalier Louis Destouches, son fidèle médecin Jean Astruc, le duc de Richelieu, Marivaux, son frère Pierre et Montesquieu, dont elle corrigera les épreuves de L’Esprit des lois. Des amis, des amants, des amis-amants, des partenaires d’esprit, et souvent de peau. Madame de Tencin est une abeille, elle fait son miel de toutes ses rencontres, des échanges dans son salon, ou dans les lits qui s’ouvrent à ses éclairs, c’est une femme politique et une femme d’affaires, elle est insaisissable, trop vive, trop rapide, et s’il le faut, elle pique. 

« Le petit abbé et la nonne défroquée forment un couple d’affaires, dévoué à l’ascension de l’un et de l’autre, à égalité. Leur couple n’a tenu qu’à cette ambition. Leurs cerveaux travaillent comme deux cœurs à l’unisson. Dans l’intimité, elle l’appelle “mon abbé sans’l sou” et il l’appelle “ma nonne sans’l froc” (bien sûr, en se moquant d’eux-mêmes) ». 

Deuxième acte de ce roman inspiré : sa liberté de mouvement, elle choisit les hommes qui seront à ses côtés, et conjugue à merveille les divertissements de l’amour aux conseils politiques, elle sait qu’elle a un rôle à jouer, elle va d’ailleurs en payer le prix fort, embastillée car accusée du meurtre de son amant La Fresnaye, alors qu’il s’est suicidé. On la découvre banquière, faiseuse de cardinal, son frère, romancière (1), et avant toute chose libre, de ses mots, de son corps, de ses gestes, elle a osé s’inventer à la première personne. Claudine Alexandrine de Tencin, n’est pas une féministe au sens qui en est donné aujourd’hui, elle est universaliste rejetant à la fois l’ordre patriarcal et l’ordre matriarcal, ce qui la rend insaisissable, irrécupérable par quelque chapelle auto-proclamée féministe. Claire Tencin s’invente elle aussi à la première personne, et il n’est pas surprenant qu’après s’être attachée à Montaigne et Marie de Gournay, elle se prenne de passion pour La Tencin, avec le même art de la biographie romanesque, où à chaque page vibre cette étoile filante. 

Philippe Chauché 

(1) Mémoires du Comte de Comminges, Le Siège de Calais (Mercure de France) ; Les Malheurs de l’amour (éd. Desjonquères). 

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