vendredi 20 mai 2022

Et maintenant, voici venir un long hiver..... de Thomas Morales dans La Cause Littéraire

« Avec sa disparition à l’âge de 88 ans, c’est tout un art de vivre qui disparaît, l’action et le verbe, le zinc et le grand style, les caleçonnades et le cinéma d’auteur, le théâtre français et l’Avia Club » (Jean-Paul Belmondo). 
« Marielle n’abîmait pas son talent dans les rôles de petits cons, d’insignifiants phraseurs, de chipoteurs du quotidien. Les siens étaient gratinés, majestueux, outranciers, exagérément libidineux, tous dépassant les limites de la moralité » (Jean-Pierre Marielle). 

Imaginons un instant le retour de Sacha Guitry parmi nous, l’homme à la langue précise, précieuse sans jamais être ridicule, affutée, brillante, piquante souvent, mais aussi admirative. Une langue qui ne s’autorisait aucun débordement, aucune faute de goût, aucune vulgarité, qui s’inspirait des grands prosateurs français, une langue vivante et vibrante. Une langue admirative des grands Hommes qu’il croisa dans sa vie virevoltante, qu’il croisa, qu’il vit, écouta ou qu’il lut. On le voit et on l’écoute nous parler de Monet, de Degas, d’Anatole France que l’on appelait Monsieur France, ou encore d’Auguste Rodin et de Sarah Bernhardt, c’est Ceux de chez nous. Un titre qu’aurait pu reprendre Thomas Morales pour les portraits de ses chers disparus, qui sont ou deviennent les nôtres, tant son style s’en inspire, avec ce parfum qui lui est propre, cette juste pensée, ce trait précis, un rien nostalgique. Cette évocation brillante et touchante de ces comédiens, ces chanteurs, ces musiciens, ces écrivains, ces sportifs qu’il honore, nous touche par cette finesse, cette justesse, cette richesse évocatrice. Même venus d’ailleurs, comme Niki Lauda – Un khâgneux funambule qui défie les lois de l’adhérence –, Sean Connery, Roger Moore – portant aussi bien le second degré à la boutonnière que le smoking au camping –, Kirk Douglas – ils nous sont familiers, comme de lointains cousins qui sont ici chez eux. Tous ces grands disparus que l’écrivain honore, ont du style, une façon d’être sur un plateau, devant ou derrière une caméra, sur un circuit de F1, ce sont des seigneurs, des aristocrates, des dieux populaires, qui ont chacun à leur façon imprégné notre mémoire commune, où se partageaient les rires, les pleurs, les admirations, et les joies. Quant à ceux de chez nous qu’il ressuscite dans ce recueil d’hommages admirables, à leurs seuls noms évoqués, mille histoires s’invitent, mille souvenirs, des films, des chansons, des émissions de télévision, des livres, des regards, des mots, des éclats de vie qui nous éclairaient. Jean-Paul Belmondo – notre mémoire du fond de l’enfance –, Dick Rivers, Stéphane Audran, Johnny Hallyday – Ce grand artiste aura pratiqué un art mineur avec des accords majeurs –, ou encore Jean Rochefort, et Michel Déon – Déon, travailleur acharné, lorgnait du côté de Balzac ou Stendhal. Vous pensiez les avoir oubliés, le livre de Thomas Morales les fait vivre et revivre, comme il fait revivre en deux coups de phrases pétillantes ces manières d’être qui n’étaient jamais des postures, cette maladie des temps d’aujourd’hui. 

« Il était d’une autre race, celle des seigneurs. Il y avait chez lui une intelligence gamine, une réserve moqueuse, une culture sans artifice et sourire qui pouvait vous crucifier sur place ou vous charmer. En somme une classe folle » (Claude Rich). 

« Sa frénésie avait un côté cartoonesque et poétique. Ses ritournelles, épurées en apparence, répétitives et si addictives, entraient dans les foyers et imprégnaient durablement la jeunesse d’alors. Faire rire sans blesser est certainement l’exercice le plus délicat qui soit » (Annie Cordy). 

S’il y a du Sacha Guitry chez Thomas Morales, on peut aussi y lire les accents d’un autre grand chroniqueur du temps passé, Bernard Frank, qui avait la même légèreté, la même désinvolture, la même finesse de jugement. Et maintenant, voici venir un long hiver… n’est pas qu’une compilation de chroniques, c’est une constellation d’étoiles qui continue de briller dans l’imaginaire de l’écrivain, et pour nombre de lecteurs dont nous sommes. Il conclut son livre par un hommage à celui qui fut son ami et son éditeur, Pierre-Guillaume de Roux – un passeur rieur et partageur –, nous pourrions dire chose semblable de Thomas Morales, un écrivain qui ne cesse de toréer la mort qui a emporté ses amis et ses admirations. 

Philippe Chauché

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