lundi 30 avril 2012

L'Un et l'Autre



" ... Que tes pieds sont beaux
dans leurs sandales, fille de noble !
Les contours de tes hanches
sont comme des colliers,
oeuvre des mains d'artistes ;
ton nombril est un calice arrondi
où ne manque que le vin épicé,
ton ventre est un tas de froment
entouré de lis ;
tes deux seins sont comme deux faons,
jumeaux d'une gazelle,
ton cou est comme une tour d'ivoire.. " (1)

" De la tyrannie du Temps,
ô mon coeur, tu désespères,
Sachant que soudainement
surgira l'heure dernière.
Sur cette herbe printanière
prends ton plaisir d'un instant,
Avant que les frondaisons
ne croisent ta poussière. " (2)


Toute pensée religieuse, note-t-il, qui s'éloigne du corps jouissant est une pensée diabolique, le centre même de la prière est la pointe d'un triangle, si elle ne résiste pas au désastre de la mort, elle le rend provisoirement supportable et toute transcendance est une cristallisation qui ne dure que l'instant d'un lever de soleil qu'il nous faut regarder en face, si l'on ne veut pas y perdre la vue.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Cantique des Cantiques / Les Cinq Rouleaux / traduc. Edouard Dhorme / La Bible / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1959
(2) Cent un quatrains / Omar Khayyâm / traduc. Gilbert Lazard / Editions Hermes / 1994

9 commentaires:

  1. "Qu'il me baise des baisers de sa bouche !
    Car ton amour vaut mieux que le vin,
    Tes parfums ont une odeur suave;
    Ton nom est un parfum qui se répand;
    C'est pourquoi les jeunes filles t'aiment.
    Entraîne-moi après toi!
    Nous courrons!
    Le roi m'introduit dans ses appartements...
    Nous nous égaierons, nous nous réjouirons à cause de toi;
    Nous célébrerons ton amour plus que le vin.
    C'est avec raison que l'on t'aime.
    Je suis bronzée, mais je suis belle, filles de Jérusalem," …
    Extrait de Cantique des cantiques (1.2 à 1.5)

    On ne s'en lasse pas, on pourrait en citer des dizaines encore comme le vôtre si bien choisi, ou celui-ci !!!

    Bien à vous.

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  2. P.S. : cette photographie d'Ava Gardner est également très bien choisie. Mais où donc avez vous encore trouvé cette merveille ?

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  3. Cher Philippe Chauché
    J’ouvre à l’instant votre recueil et je lis ces textes et ce qu’ils vous inspirent ; à mon tour, vous lisant, je pense : « Ne pourrait-on pas aussi bien dire : toute pensée de jouissance qui s’éloigne d’un désir de ré-union (re-ligare), est une pensée mue par le diabolique, si tant est que ce dernier est bien ce qui prospère sur la séparation : de soi avec soi, de soi avec la propriété de sa vie, de soi avec l’autre, de soi avec « l’amour, le vaste monde… »
    À vous, qui m’avez si bien lu au point de m’avoir cité, je ne résiste pas au plaisir de rappeler ces quelques lignes de L’Art d’aimer d’Ovide :
    « Mais déjà le lit complice de leur plaisirs a reçu nos deux amants. [… ]
    Si tu veux m'en croire, ne te hâte pas trop d'atteindre le terme du plaisir; mais sache, par d'habiles retards, y arriver doucement. Lorsque tu auras trouvé la place la plus sensible, qu'une sotte pudeur ne vienne pas arrêter ta main.
    Tu verras alors ses yeux briller d'une tremblante clarté, semblable aux rayons du soleil reflétés par le miroir des ondes. Puis viendront les plaintes mêlées d'un tendre murmure, les doux gémissements, et ses paroles, agaçantes qui stimulent l'amour. Mais, pilote maladroit, ne vas pas, déployant trop de voiles, laisser la maîtresse en arrière; ne souffre pas non plus qu'elle te devance : voguez de concert vers le port. La volupté est au comble lorsque, vaincus par elle, l'amante et l'amant succombent en même temps. Telle doit être la règle de ta conduite, lorsque rien ne te presse et que la crainte ne te force pas d'accélérer tes plaisirs furtifs. Mais, si les retards ne sont pas sans danger, alors, penché sur les avirons, rame de toutes tes forces, et presse de l'éperon les flancs de ton coursier.
    Je touche au terme de mon ouvrage. Jeunesse reconnaissante, donne-moi la palme, et ceins mon front du myrte odorant... »
    Ovide que je viens de redécouvrir. (Mais je ne crois pas avoir jamais traduit ces lignes durant mes années de collège ou de lycée…).
    Ovide impérial dans ces quelques lignes, écrites en l’an 1 de notre ère, c’est-à-dire exactement 2000 ans avant celles-ci, écrites en juin 2001 : « Dans cette conception de la vie et de l’amour les amants veulent jouir ensemble. L’abandon en absolu simultané à la gloire orgastique et à l’extase qui la suit etc » qu’il m’a fallu trouver en m’exilant, sans aucun regrets, de cette époque de furieux esclaves sans maîtres — libertaires-pubertaire, pour la plupart — où elles ont beaucoup amusé.
    Ovide, lui, ne dut pas s’exiler : il fut exilé. Pour les mêmes raisons ; par Auguste.
    Pour la palme et la myrte, dans les époques de furieux, donc, on repassera… Ou on fera comme Mme Catherine...
    (Pour la mort, c’est très surfait : on meurt en un éclair. J’en sais quelque chose.
    C’est son anticipation anxieuse ou la vie souffrante et s’amenuisant qui peuvent être désastreuses.)
    Jouissons donc du Temps – pendant qu’il nous est donné – nous qui vivons, lisons, écrivons, aimons…

    À vous

    Vaudey

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  4. Cher Philippe Chauché
    Pour éviter tout malentendu à la lecture de ce que j’écrivais précédemment, je voudrais préciser d’abord qu’il fallait lire « aucun regret » et « libertaires-pubertaires » – mais vos lecteurs avaient corrigé –, mais surtout que, si je veux bien être moraliste puisque j’observe les mœurs de mon époque, je n’entends pas être moralisateur, et que ce n’est pas sous l’angle de la morale que j’ai critiqué cette époque mais plutôt sous ceux du goût et de la « grande santé ».

    Tout à fait – et cela ne cesse de m’étonner, au fur et à mesure de ma lecture – comme le faisait Ovide, un Romain, familier du premier cercle du pouvoir (il courtisait Julie, la petite-nièce d’Auguste), pour lequel — comme pour tous les autres Romains — les esclaves étaient, de droit, des objets sexuels qui ne pouvaient que se soumettre, et auquel même les affranchis ne devaient, par obligation, rien refuser dans ce domaine, un Romain, qui vivait dans une société dans laquelle on épousait des petites filles de sept ans (et je vous fais grâce du reste), et qui était donc, dans l’ordre du sexuel, un peu plus renseigné et libre d’agir selon son bon plaisir que ne le furent nos « libertaires-pubertaires », né(e)s avant-guerre, ou après, avec leurs « sexualités » d’esclaves de pensionnats et de lecteurs de revues aux filles au sexe gommé, ou même que leur maître à tous, ce marquis embastillé dans une société loin d’offrir, même à sa noblesse, les mêmes opportunités d’assouvir sans limites tous ses caprices que Rome à ses citoyens, un Romain, donc, avec toute la riche expérience et les riches possibilités que lui donnaient ce titre et son rang, et qui écrivait, malgré, ou plutôt grâce à tout cela :

    « Chez elles [il parle des femmes qui ont passé trente ou trente-cinq ans] le plaisir naît sans provocation irritante : ce plaisir le plus doux, celui que partagent à la fois et l'amante et l'amant. Je hais des embrassements dont l'effet n'est pas réciproque : aussi les caresses d'un adolescent ont-elles pour moi peu d'attrait.
    Je hais cette femme qui se livre parce qu'elle doit se livrer, et qui, froide au sein du plaisir, songe encore à ses fuseaux. Le plaisir qu'on m'accorde par devoir cesse pour moi d'être un plaisir, et je dispense ma maîtresse de tout devoir envers moi. Qu'il m'est doux d'entendre sa voix émue exprimer la joie qu'elle éprouve, et me prier de ralentir ma course pour prolonger son bonheur ! J'aime à la voir, ivre de volupté, fixer sur moi ses yeux mourants, ou, languissante d'amour, se refuser longtemps à mes caresses ! »

    à suivre

    Vaudey

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  5. Ovide qui, ailleurs, prône encore les amours durables parce que les amants et leurs amours n’en deviennent que meilleurs…

    C’est de ces mêmes points de vue du goût expérimenté, du sentiment délicat et policé — retrouvés malgré lui — que j’ai critiqué mon siècle malheureusement et pauvrement sadien, regrettant qu’il n’ait été ovidéen, espérant qu’ un de ces autres à suivre, peut-être, soit sinon ovidéen au moins vaudéen, ayant aimé et aimant, en amour comme ailleurs, la grâce partagée, lui ayant tout, de gaité de cœur, sacrifié (l’époque le permettait).

    Enfin — malgré ce que peuvent écrire certains sur le ton de l’ironie (J. Henric, dans un article où il pourfend à juste titre les moralisateurs, mais où il me semble, pour ma part, sentir comme l’ombre d’un doute — et quand on voit où tous ceux-là, qu’ils nomment, et où tout cela, ont mené, pourquoi pas ?… ) : « Allons, reconnaissons-le, la culture occidentale du siècle passé et de l’actuel, sa littérature notamment, et particulièrement la française, ne sent pas bon. Avec un Sade qui déjà au 18e siècle empuantissait l’atmosphère, puis avec des auteurs comme Genet, Bataille, Céline, Pasolini, Nabokov, Klossowski, Beckett, Guyotat... ), enfin, donc, malgré cela et ce doute que je crois sentir, tout compte fait, chez certains des acteurs de la « libération » sadienne de l’époque, je dois dire que je comprends l’enchaînement des causes qui ont fait du vingtième siècle ce qu’il a été : chacun a fait ce qu’il a dû et cru devoir faire. Ou même seulement pu faire…

    Pardonnez-moi, Cher Philippe Chauché, d’avoir abusé de votre hospitalité avec mes précisions qui ne sont vraisemblablement pas dans votre goût mais qu’importe : vous avez dit l’essentiel, sur lequel nous ne pouvons que nous accorder, dans votre billet…

    À vous

    R.C. Vaudey

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  6. @ Cédric

    Vous avez du style et du caractère ; s’il vous arrivait de manquer, par verdeur, d’élégance, ceux que je vous vois fréquenter sur le Net vous rendront le service de vous l’indiquer (s’ils ne l’ont déjà fait) — vous rendant ainsi celui que vous leur faites par vos Phrases journalières.

    @ MATHILDE PRIMAVERA
    Votre site, que je découvre, m’a paru très beau et très frais. Pour le tabac, si je peux me permettre, ne lâchez rien !

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  7. Cher R.C. Vaudey,

    Je vous retourne ces mots : vous avez du style et du caractère, j'ajoute : vous avez une vision.

    Au reste, vous m'avez parfaitement cerné, le mot "verdeur" est des plus justes ; moi le solitaire, j'apprends la compagnie des Hommes, et j'ai en effet pu manquer et d'élégance et de clairvoyance dans ce que j'ignorais des rapports humains. Mais j'apprends de ce que je vis, sur l'Autre, sur moi et sur les divers liens possibles de cet Autre à ce moi.

    J'apprends à vivre et j'aime apprendre.

    J'aime votre « Oui » à la vie, cette affirmation de ce que nous sommes, n'en déplaise aux nihilistes de tout poil qui se sont arrêtés au milieu du chemin, oubliant d'affirmer que s'il y a « rien », alors il y a « tout » !

    Au plaisir.

    Cédric.

    ( Merci à Philippe Chauché d'autoriser cet échange sur ses pages. )

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  8. En ces temps où les fâcheux labourent de leur vulgarité et de leur absence de style le mouvement du Temps, en ces temps où le silence est d’or, il est heureux de vous lire ici, d’y inviter Ovide avec l’élégance qui vous caractérise, sachez que vous y êtes toujours les bien venus " parce c’est vous et parce que c’est moi".
    « Les choses les plus anciennes ont été (sont) extrêmement neuves. »
    l’empereur Claude

    Bien à vous.

    Philippe Chauché

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