vendredi 23 novembre 2012

The Conductor


http://youtu.be/KJLXbR_AB6Q

   
Entrer en musique suppose note-t-il, un certain talent, une retenue, presque un effacement, tout le contraire de ce qui domine les habitudes des humanoïdes en ces temps. Entrer en musique est tout un art, réservé aux hommes de qualité, à ceux qui savent qu'à chaque note tenue, qu'à chaque glissement de cordes, à chaque vibration des bois, à chaque éclat des cuivres, c'est bien du mouvement du Temps qu'il s'agit, de son insensé saisissement, et de la délivrance de sa terrible joie secrète.

Carlos Kleiber est pour ainsi dire entré en musique comme on entre en résistance, portant en lui celle d'Erich, son père, une résistance aux têtes môles et aux bras armés de vulgarité et de terreur.

" Erich Kleiber ne transigea jamais avec qui que se soit. Il adorait Berg. Il mettait la musique de Berg au niveau de celle de Brahms et de Beethoven, un sacrilège pour le grand public. A Berlin, il donnait le Wozzecch, que les nazis avaient traité de musique décadente et dégénée et retiré du répertoire officiel allemand, il le jouait sans faire attention aux mises en gardes des plus hautes autorités du Reich. Dans les courriers frappés du sceau du ministère de la propagande, il lisait : " Sans aucune contestation possible, les opéras de monsieur Berg font honte au génie allemand. Ils sont le produit de son esprit affaibli et décadent. En conséquence de quoi, nous demandons au directeur de l'opéra national de Berlin de les retirer sans délai de sa programmation. " Erich Kleiber recevait ces courriers, il les froissait rageusement dans son poing et il les jetait dans sa corbeille. Il continua de répéter et de jouer Berg. En novembre 1934, il donna des premiers extraits de Lulu : protestations dans la salle, sifflets. Un officier de la SS vint le trouver dans sa loge après la représentation : " Monsieur Kleiber, vous souillez la scène nationale. Vous ne vous en tirerez pas comme ça. " Des plaines anonymes furent déposées au bureau de la propagande. On fit pression sur lui. Au début de 1935, plutôt que de retirer Berg de son répertoire, il choisit de démissionner et s'exila en Argentine. Son fils partit avec lui, il portait encore le prénom de Karl. "

On entre souvent en musique par les musiciens, l'expérience est toujours consolatrice. On y entre par une confidence, une attitude, une manière de vivre sa liberté libre, un embrasement, une répétition - la vie n'est-elle pas une perpétuelle répétition ? - une écoute profonde et lumineuse de la matière, de ce quelle dit et cache. 

" Entrez en musique ! ", semble dire à ses musiciens Carlos Kleiber dans les images que l'on conserve de lui, entrez, et mon regard - le  regard de Kleiber est une partition - vous accompagne, entrez, et mon bras vous conduit, - les bras de Kleiber ne battent pas seulement le temps, ils sont le Temps ! -  comme de son bras on conduit le mouvement d'un corps aimé.





" Son bras gauche dessinait des arabesques et des ondulations tandis que son bras droit martelait la mesure avec la rigidité de Kleiber, Erich, son père. Le bras droit ordonnait : Suivez le tempo ! Respectez la mesure ! Tandis que le bras gauche susurrait : Plus de lenteur, plus de souplesse,  plus de tendresse, plus de légèreté ! "

" Il disait : " Il faut tâtonner. Tout peut arriver si vous tâtonnez. Mais il faut tâtonner. Avancer en pleine obscurité, n'est-ce pas ? En pleine obscurité. "





à suivre

Philippe Chauché

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