« Rappelle-toi avant-hier. Rappelle-toi ta rencontre dans le parc Monceau avec ce journaliste de Je suis partout passé à la Résistance du jour où les chars de Leclerc ont franchi la porte d’Orléans.
Tu as pourtant cru que ça y était
Le regard qu’il ta jeté valait une salve ».
Tout à une fin, Drieu est un livre qui claque comme une salve d’arme automatique, une fable qui vous saisit comme un regard d’acier, et vous fige comme un uppercut. Ce pourrait être les derniers jours de l’auteur de Gilles, de Feu Follet, mais aussi d’Une femme à sa fenêtre, ces romans d’une génération et de quelques essais pamphlétaires dont il ne reste qu’un vague souvenir. Drieu face à son double, ce narrateur, qui ne lui pardonne rien, qui le suit comme son ombre, l’interpelle, le questionne, l’invite au souvenir, à ces zones d’ombres anciennes ou plus récentes, à la guerre comme à la collaboration. Mais Drieu est autre, plus complexe, sa palette de noirs s’invite lumineusement dans ce petit livre racé qui s’ouvre sur cet homme pressé que le destin va rattraper.
« En tout cas, à cause de ce que j’ai pu observer, disons à cause de tes idées noires, j’ai pensé à ce que tu pourrais faire graver sur ta pierre tombale. J’ai deux inscriptions à te proposer, et toutes les deux à mon avis te définissent le mieux du monde.
A toi de choisir.
Dans le genre cynico-romantique, je te suggère : « Plus on l’aimait, plus il se haïssait ».
Tout à une fin, Drieu est un grand roman qui se fait passer pour une fable, ou une saisissante fable qui se glisse sans en avoir l’air dans la peau d’un roman d’aventure, et quelle aventure ! Drieu se montre, il sait que tout cela ne durera point, que son passé lui colle à la peau, l’occupation, l’allégeance à Vichy, l’antisémitisme, de bien mauvaises fréquentations. Il sait que le temps est venu des règlements de compte, mais il a l’air de ne pas prendre tout cela au sérieux, sauf à penser qu’il se jette dans les griffes de ses exécuteurs sans remords, avec même une certaine fatalité. Si la mort rode, accueillons-là les bras ouverts, semble-t-il penser.
« Au même moment et dans la même ville, mais Drieu et le professeur l’ignorent, un résistant, grand lecteur de Stendhal et d’Hemingway, assis lui aussi à une table du bistrot note sur un carnet quelques-unes des réflexions dont il compte faire bientôt la matière d’un libelle sur la singularité d’être français».
Drieu va tomber, et c’est un prénom qui va tout déclencher, Gilles, lancé dans rue, signe sonore de l’enlèvement, le Gilles devient sa perte. Un procès clandestin s’ouvre alors, sous l’œil de feu d’Héloïse –Tu avais cru échapper à un procès, et sans doute allais-tu y échapper car, hormis nous, les communistes, tout le monde est désormais d’accord pour passer l’éponge –, qui devient procureur, de Rodrigue, de Maréchal – C’est à cause de Gilles que Drieu s’est piégé. Il l’avait créé en songeant à lui-même et, par un contrecoup inexplicable, il est devenu le jouet de sa création, sinon il aurait rejoint de Gaulle – et Marat, résistant, lecteur de Drieu – Nous avions un combat à mener. Vous aussi à bien y regarder… Et chacun, dans son camp, l’a mené à sa façon. Et bien, mettons tout à plat et tranchons –, on s’imagine dans un film de Melville, mêmes tensions, même rigueur, force des regards et des mots, le passé fait vibrer le présent et éclaire l’avenir qui ne sera pas radieux.
« Quelle ironie du sort ! Drieu, qui s’était imaginé finir dans la peau d’un stalinien, est en train de se voir appliquer le plus stalinien des traitements.
Il en est conscient et se blâme d’avoir pu croire que lui serait épargnée la chanson des sans-cœur. Et bien non, ce sera comme toujours Vae victis ! Malheur aux vaincus ! »
Tout à une fin, Drieu est une fable romanesque, qui place Pierre Drieu la Rochelle face à l’Histoire, à son histoire qui n’est pas une fable, face à ses mots et à ses actes, en des temps où comme jamais les mots devaient être pesés avant d’être dits ou écrits. Gérard Guégan se saisit des derniers instants de Drieu, derniers jours imaginés, avant qu’il ne mette fin à ses jours, pour s’y glisser, et y glisser son double. Cette parole qui ne cesse de l’interpeller, de lui rappeler ces phrases qui l’accusent – Ah oui, je me souviens, tu avais qualifié le climat qui régnait à Dachau de « franche sévérité » ! Mais ça veut dire quoi « franche sévérité » dans un camp de concentration ? –, le condamnent, lui imposent d’en finir. Dernières heures sous les yeux des résistants qui le jugent, le mettent face à son propre jugement, sa sévérité.
Cette fable n’est pas un roman à charge, un règlement de compte, c’est un saisissement romanesque, un lumineux petit livre où chaque mot, chaque phrase est pesée, pensée, tombe comme un couperet.Tout à une fin, Drieu est un roman follement politique, qui ne cesse de tourner dans la nuit française, où un écrivain dandy et séducteur se brûle les ailes avant de définitivement s’endormir.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/tout-a-une-fin-drieu-gerard-guegan-2
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