mardi 29 novembre 2016

People Bazaar dans La Cause Littéraire



J« Juin 1955. Je suis au coin de la rue Saint-Benoît et du boulevard Saint-Germain. J’attends. Quoi ? Tout et rien. Que va-t-il se passer ce soir ? Comment dîner ? Pourrai-je entrer au Club Saint-Germain où doit passer Art Blakey et ses Jazz Messengers ? » (Avoir vingt-ans à Saint-Germain-des-Prés).
 
Je me souviens de Pierre de Lucovich, toutes celles et ceux qu’il a croisés, rencontrés, interviewés, aimés, en plus de cinquante ans, pourraient-ils peut-être répondre à cette invitation, à ce réjouissant exercice littéraire. En attendant de lire leurs réponses, l’infiltré offre dans cet opus ses souvenirs, souvenirs gracieux et élégants de nuits blanches et noires de Paris et New-York, les nuits d’un « raisin aigre »*, accordées aux musiques de Miles Davis, de Bud Powell ou de Thelonious Monk. En cinquante ans, Pierre de Lucovich aura plus pour moins approché – le journalisme ressemble parfois à la chasse au lion à l’arc – Orson Welles, drapé dans sa cape noire, Paul Gégauff, brillant, provocateur, mais aussi Maurice Ronet, docteur en lucidité, ou encore Françoise Sagan, l’amie, Dalio, l’humour juif à fleur de peau, l’autodérision dans le sang, mais aussi quelques princesses, des ministres, des peintres, des chanteurs, des couturiers, tant et tant d’autres. L’élégant infiltré écrit pour Paris Match, Vogues Homme, Paris Presse, Lui, L’Express, L’Evènement du Jeudi, Harper’s Bazaar.
 
Ses portraits-souvenirs sont toujours précis et nets, ses phrases sans emphase, il va droit au but, aux faits, tout l’art d’un roman qui se déroule sous ses yeux, en deux phrases, il saisit une situation et c’est à chaque fois juste et troublant, son œil voit, sa main ne tremble pas, même lorsque la terre se dérobe sous ses pieds, il sait admirer, comme il sait griffer les suffisants et les fâcheux.
 
« A table, c’est un feu d’artifice sur Hollywood. Nous parlons du cinéma américain des années cinquante, période patriotique et paranoïaque. Il a compris que je suis cinéphile. Je lui rappelle les navets à la gloire du FBI dont le plus célèbre est I was a communist for the FBI, l’histoire d’un agent infiltré dans le PC américain. Il éclate de son rire tonitruant et se met à imaginer des titres parodiques : I was a teenage computer, I was a pizza in the mafia » (La mémoire d’Orson).
 
Souvenirs d’un infiltré dans le beau monde est le roman d’une vie, la vie de Jean-Pierre de Lucovich, ponctuée de rencontres, d’éclats de rires, de doutes, de beaux costumes, d’amours, il prénomme son fils Roman – Au fond, tu es le père du nouveau Roman –, de drames, de nuits blanches, de coups de colère et d’amitiés. Son décor : la Côte d’Azur, le Luberon de ses amis – Maurice Ronet –, les nuits parisiennes, les Palaces, L’Alcazar, le Palace, Lipp, Maxim’s, des châteaux, des clubs de jazz parisiens et new-yorkais, des rendez-vous secrets et discrets, où il se rend sur la pointe des pieds. La discrétion est une règle, l’élégance une éthique. Il traverse ce beau monde à la manière de Cary Grant – Un homme élégant s’habille toujours de la même manière – dans les films d’Hitchcock, même démarche légère, un rien de nostalgie, dupe de rien, comme dans La Dolce Vita. Si la vie est une fête**, alors il serait vraiment navrant de ne pas en être, ne cesse-t-il de nous dire, à chaque page de ce récit romanesque, léger et pétillant.
 
 Philippe Chauché
 
* L’expression est de Boris Vian qui appelait ainsi les tenants du be bop, surnommant ceux de la Nouvelle-Orléans, les « figues moisies »
** Livre de souvenirs de José Luis de Villalonga
 
 
 

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