« Cette histoire de Goodis avait donc commencé fortuitement ; une commande, pour tout dire. Et lorsque l’idée avait été lancée de Paris, c’est avec certaines réticences que j’avais accepté. J’avais certes déjà fouiné du côté de Cain, Chandler, Burnett et d’autres auteurs de la Série Noire, et une exploration du monde de Goodis paraissait logique à certains. J’en étais moins sûr, et n’osais trop me lancer ».
Trente ans séparent La vie en noir et blanc et Retour vers David Goodis, les deux livres consacrés par Philippe Garnier à l’auteur de Tirez sur le pianiste, La lune dans le caniveau ou encore Cauchemar et L’allumette facile. Des romans noirs publiés en leur temps en France par Marcel Duhamel dans La Série Noire, puis par François Guérif dans la revue Polar et chez Fayard. Philippe Garnier, pour ceux qui l’auraient oublié, c’est l’œil et la voix américaine du magazine Cinéma, Cinémas, de Claude Ventura, Anne Andreu et Michel Boujut, produit et diffusé à la télévision sur Antenne 2, de janvier 1982 à novembre 1991.
Le français de Los Angeles aura ainsi rencontré et dialogué pour la télévision avec Sterling Hayden – Johnny Guitare et l’Ultime Razzia –, Franck Capra, Angie Dickinson, ou encore Robert Mitchum, sans oublier ses enquêtes sur les scénaristes et les écrivains de romans noirs. C’était enfin L’Oreille d’un sourd pour le quotidien Libération, des chroniques venues de l’Ouest, émoustillantes avec à chaque fois quelque chose de nouveau. Cette biographie amusée et curieuse de David Goodis poursuit la même démarche, porté par le même regard littéraire et cinéphile sur Hollywood, il dessine le portait de cet écrivain qui a fait ce qu’il a voulu et s’est sacrément bien amusé à le faire, cet écrivain de série au ton tantôt frileux tantôt surchauffé… avec cette voix et ces dialogues intérieurs qu’il maniait parfois si bien et qui le rendaient si différent des autres.
« Fallait-il alors chercher le vrai Goodis dans ses livres, dans les descriptions qu’il faisait de ses personnages masculins ? Était-il réellement comme Eddie le pianiste, de taille moyenne et mince (…), une figure sympathique, sans lignes dures, sans ombres ? Ou comme le laissé-pour-compte de Sans espoir de retour ? »
David Goodis héros improbable du cinématographe français, François Truffaut adapte Tirez sur le pianiste, Godard y pense dans Made in USA, et les adaptations se suivent, plus ou moins heureuses, signées Henri Verneuil, René Clément, Jean-Jacques Beineix, Gilles Bréhat, Francis Girod, mais aussi Samuel Fuller, l’univers de l’écrivain s’y prête et on l’y prête, et ses traductions parfois pour le moins hasardeuses, poussent les scénaristes et les cinéastes à se les approprier, à les transformer, parfois au petit bonheur la chance.
Goodis intrigue et fascine, cette photo en noir et blanc que reproduit Philippe Garnier, où on le voit de profil en chemise à fines rayures, bretelles, cravate à motif, en train de taper à la machine à écrire, est devenue l’icône tant rêvée de l’écrivain américain – une semblable montre Faulkner torse nu penché sur sa petite machine à écrire. Philippe Garnier nous le rappelle, tout a commencé en 1947, avec Bogart et Bacall des Passagers de la nuit, qui lui colleront tant et si bien à la peau.
« Le microsillon noir se mit à tourner. Il posa l’aiguille, et ce fut parti pour Shorty George. Parry se tenait prés du pick-up, suivait les évolutions du disque et écoutait l’orchestre de Basie atteindre la quatrième dimension. Il reconnut la trompette de Buck Clayton et sourit. Le sourire d’argile tendre vira carrément au ciment lorsqu’il entendit les doigts gratter à la porte de l’appartement. Son corps entier prit la rigidité du ciment » (Cauchemar, Gallimard, 1949).
Imaginons une carte stellaire, dont tous les chemins, des plus évidents aux plus étranges, conduisent à la même planète : David Goodis. Non celle dont rêvait ses lecteurs, ses adaptateurs, ses commentateurs, mais la réelle, la planète de cet écrivain toujours au fait des changements de goûts et des marchés. Goodis écrit des nouvelles pour des magazines populaires, pour la radio, des scénarios pour le cinéma, flirte avec Universal, travaille pour la Warner, voyage un peu, écrit beaucoup, des nouvelles et des romans – Je crois que David n’a jamais eu l’ambition d’être un grand écrivain. C’était un besogneux, un hack, comme on dit ici… Il ne parlait jamais de livres ou d’auteurs connus. Sauf Henry Miller –, assiste à des courses de taureaux à Tijuana, écoute du jazz, s’immerge dans les milieux sombres qu’il veut décrire, fréquente des clubs réservés aux noirs, et croise le Milieu.
Philippe Garnier emprunte tous ces chemins de traverse pour dresser ce portrait croisé, ces portraits éclairés de dizaines de témoignages, ces satellites qui tournaient autour de lui, certains l’ont oublié, d’autres se souviennent du vrai David Goodis – un de plus ! – qui a laissé quelques empreintes, pages imprimées, lettres, esclandres, et passions. Cette foisonnante biographie ressemble à s’y méprendre à un roman noir, roman d’une époque et d’un pays, au pluriel, les Amériques, roman qui tourne autour de son héros, en découvre une, deux, trois faces, pages après page, et nous permet une nouvelle fois, trente ans après la première, de mesurer l’importance, et de mieux comprendre qui était ce drôle d’oiseau de nuit.
Philippe Chauché
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