dimanche 2 avril 2017

Thomas Vinau dans La Cause Littéraire






Ouvrir un livre de Thomas Vinau, c’est mettre à jour des pépites, des éclats romanesques, c’est vif, précis, lumineux, souvent soyeux. Thomas Vinau a l’art de saisir un mouvement, une couleur « Il y a ce bleu immense au-dessus de sa tête, un bleu sans limite, uppercut, percutant, un bleu ouvre-boîte et son crâne est une conserve tempérée que ce bleu vient décortiquer », un geste. La nature s’y glisse, le doute s’y perd parfois, les mots s’échappent et vibrent d’étranges passions. L’écrivain est un romancier du geste, du corps à corps. Si c’était un animal ce serait une belette, sautant de ligne en ligne, de page en page, curieux, savoureux, savant des saveurs du monde, au coin de sa maison, dans son jardin, il marche, sous le soleil ou la pluie, il déploie ses mondes, et l’on ne s’en lasse jamais. « On dirait / le ventre d’une baleine / un rapace / aux ailes de neige / une géante de craie / qui se déplie et de déploie ».


 
La Cause Littéraire : Ce début d’année littéraire est marqué par 2 nouveaux livres (en attendant d’autres publications !), « Collection de sombreros ? » et « Il y a des montres qui sont très bons ». Un recueil de très courtes histoires, des histoires oubliées, comme un manuscrit jeté à la poubelle, et qui s’en échappe écrivez-vous en hommage à Richard Brautigan (l’un de vos compagnons de lecture et d’écriture), et illustré par votre éditeur Vincent Rougier, et puis un recueil de poèmes, où les « nuages dessinent des tigres sauvages ». Nous pourrions commencer par tenter de définir ce que vous entendez par poésie, par fiction, par récits ?
 
Thomas Vinau : Ha bin ça commence sérieusement tout ça. Ce ne sont pas des questions que je me pose tous les matins en me rasant. Y’a qu’à voir l’état de ma barbe. Mais bon je vais tenter la chose. Disons que la poésie c’est d’abord pour moi un positionnement, un pas de côté, un point de vue. Elle se cache dans les rouages d’une mécanique toute simple qui va du voir-autrement-pour-dire-autrement au dire-autrement-pour-voir-autrement. Le récit lui, a une autre cible en ligne de mire, celle de raconter dans toutes les variations sémantiques du mot. Quant à la fiction elle se place au revers d’une tentative (vaine d’après moi) de n’écrire que le vrai, à l’inverse donc de toutes les démarches de sciences humaines ou de philosophie. Une fois ces trois définitions posées, je reprends une gorgée de café et je me situe parce qu’on me le demande et que je suis poli. D’abord toute écriture est fiction, l’homme s’invente en se racontant et le mensonge dit autant de lui que la vérité, donc déjà, j’abandonne le chemin des sciences humaines et autres et je me dirige d’un pas décidé vers les fictions parce que je crois qu’elles ont le pouvoir de dire des choses de nous que ne peuvent pas dire les sciences humaines. Je décide d’écrire, de raconter. Mais je n’y parviens pas vraiment jusqu’à ce que je rencontre la poésie, sa lecture et sa pratique, qui affute mes yeux et qui nettoie ma langue de toute sa graisse. Et en particulier la poésie américaine (les Bukowski, Carver, Brautigan et compagnie avant de rencontrer la poésie française contemporaine) qui me montre joyeusement qu’elle a tous les droits, qu’elle peut aller directement de la vie à la vie, qu’elle ne s’épargne aucune forme de réalité, que plus elle est simple plus elle est efficace, qu’elle peut se servir de tous les registres (du plus soutenu au plus familier), tous les tons (du plus grave au plus léger), aborder tous les sujets (des plus triviaux aux plus nobles), bref qu’elle peut tout faire tant qu’elle est honnête et même raconter des histoires. Et c’est là que les domaines se mélangent. Et c’est là que je trouve mon petit coin. La poésie peut être narrative, raconter des petites scènes, des histoires, se servir du récit comme d’une corde à son arc puisqu’elle est flèche d’un cœur à l’autre. Et puis je me suis rendu compte que la pratique de la poésie avait modifié ma façon d’écrire. Passé la boue au tamis. Et qu’elle me permettait de mieux écrire des récits. De mieux raconter. Alors j’habite dans cet entre-deux. Et je laisse aux libraires aux éditeurs et aux lecteurs le soin de classer mes petites saloperies dans l’une ou l’autre des rangées de leurs bibliothèques. Pour ce qui est des deux ouvrages récents, poésie et narration sont totalement mêlées. Sous la forme de petites micro-fictions pour Collections de Sombreros ? qui disent l’aventure de chacun chaque jour. Et sous la forme de poésies narratives pour Il y a des monstres qui sont très bons, du jeu, de l’exploration, le bizarre familier, l’étrangeté intime, nos vies de monstres tendres.
 
 
 
Depuis plus de dix ans vous ne cessez d’écrire, des petits livres, parfois illustrés, chez des éditeurs souvent modestes et discrets : Vincent Rougier dès le premier livre, mais aussi, Cousu main, Le Pédalo ivre, Alma, La Boucherie Littéraire, ou encore La Fosse aux ours, Donne à voir, et Le Castor Astral. Des noms de maisons d’édition qui pourraient être des titres de vos livres (titres toujours réjouissants et fantaisistes pour le lecteur curieux). Comment se font et se sont faites ces rencontres avec vos éditeurs ? Vous vagabondez de l’un à l’autre ? Vous êtes fidèle à plusieurs éditeurs ?
 
A la base je ne connaissais personne. Je propose mes projets à des éditeurs qui me plaisent. Petits ou grands. J’ai commencé à publier en poésie, il y a dix ans. D’abord revues, puis internet puis petit éditeurs. Jamais à compte d’auteur. La poésie est un monde foisonnant, très vivant, assez précaire, mais où les gens se mouillent, dans lequel s’agitent beaucoup de petits bras de l’ombre qui défendent une même cause et un même goût. Seulement c’est une niche comme on dit, c’est à une autre échelle, des tirages moindres, pas de presse, peu de lecteurs, pas beaucoup d’argent. Mais du coup aussi, le revers du revers de la médaille, une vraie liberté, un vrai souci de l’objet, des rencontres, des gens, des textes. C’est un milieu qui a ses qualités et ses défauts comme partout, ses égos, ses écoles, mais ce n’est pas la mare aux requins. Et moi c’est l’endroit où je suis né en tant qu’auteur, on m’y a adopté, rejeté parfois, mais j’y ai grandi. Et mis à part un ou deux rares cas où humainement ça n’a pas marché, je leur reste fidèle. Et si vous regardez, il y a souvent plusieurs projets, au fil des années on se retrouve. Mais je n’ai jamais renoncé à être diffusé plus largement, défendu, voire même soyons fou un peu payé pour ce que je faisais. J’ai eu la chance au moment où je trouvais ma forme et où je recommençais à aller un peu plus sérieusement vers la narration, vers le roman, donc dans un domaine moins confidentiel, de rencontrer Alma, grâce à Décapage et Jean-Baptiste Gendarme. Depuis on avance ensemble et je grandis avec eux. Et tout en faisant un beau travail d’éditeur, ils me permettent d’atteindre un peu mieux les lecteurs. Grâce à eux en plus je suis en poche chez 10/18, l’éditeur de tous les américains que j’admire. Depuis des années je rêvais à des éditeurs comme Le Castor Astral ou La Fosse aux ours, pour leurs catalogues, leur intégrité, leur travail. Et voilà qu’ils finissent par rencontrer mes textes et qu’à présent j’y suis. Donc je suis comblé. J’ai 4 familles. Celle de ce qu’on appelle la microédition de poésie, à laquelle je veux rester fidèle (ce qu’on peut voir ce printemps avec Vincent Rougier, ou le Pédalo Ivre). Il y a « les historiques » comme Gros textes ou Les Carnets du dessert de lune, Motus ou Donner à voir pour les albums jeunesse, mais aussi ceux qui me permettent des collaborations avec d’autres artistes comme Le Réalgar, La Boucherie Littéraire ou Cousu Main, et puis j’aime bien les façonneurs d’objets comme les Fireboox de Voix éditions, ou les si beaux livres faits-mains des Venterniers-Nuit Myrtide, ou de Sun-Sun. Deuxième famille, Alma et 10/18 pour mes romans. Troisième, La Fosse aux Ours (qui fêtent leurs 20 ans cette année) pour mes proses poétiques. Et celle enfin du Castor Astral pour mes Clochards Célestes et une partie de mon travail poétique. Suivant l’objet et le projet je propose aux uns ou aux autres.
 
Nous évoquions Richard Brautigan, dont vous dessinez le « portrait » dans « 76 clochards célestes ou presque » (Le Castor Astral), un livre où l’on croise également d’autres écrivains qui semblent vous accompagner depuis longtemps : Pierre-Autin Grenier, Nicolas Bouvier, Charles Bukowski, Auguste Le Breton, Jules Renard ou encore Jack London et Cravan, le poète boxeur. Des écrivains au bord de la chute, des « sales types », des « voyageurs légers » écrit Eric Poindron dans sa préface. Pour vous ce sont des compagnons de littérature qui vous ont « invité » à écrire ? Comment d’ailleurs est née cette passion littéraire, cette nécessité d’inventer des mondes, de conjuguer poésie, fiction et récits, de décrire ou d’inventer le monde, les mondes qui vous entourent ?
 
76 Clochards célestes ou presque est un livre d’amour. Ce ne sont que des portraits d’auteurs et d’artistes que j’aime, qui m’ont nourri, consolé, renforcé, parfois sauvé. Dans une vie il y a des rencontres. On peut rencontrer des humains et on peut rencontrer des livres. Et lorsque la rencontre se fait pour de vrai le trou est un peu plus grand dans le mur, et il y a un peu plus de lumière et de chaleur qui entre. Il y a une longue liste de remerciements à la fin, des revues, des humains, des auteurs, parce que nous ne sommes que des relais. Pour mon histoire personnelle, très vite les arts en général puis la littérature en particulier se sont imposés comme les seules choses, avec l’amour et la fête, qui valaient le coup. C’est la seule chose que j’ai faite vraiment sérieusement dans la vie. Avec ma famille. C’est la place que j’ai trouvée dans ce drôle de monde pour continuer à profiter du spectacle, continuer de voir l’horreur et la merveille, à regarder la vie dans les yeux sans devenir fou, sans brûler trop vite.
 
Dans Initiales, le Magazine des libraires indépendants, vous précisiez : « Je ne suis pas du tout dans l’autofiction, plutôt dans la narration intime », des narrations qui s’aventurent parfois sur les terrains de jeux d’enfants, vous affectionnez la lumière, le chant des oiseaux, les éclairs électrisants, la terre, les sentiers, les chants d’oiseaux, les fleurs, les promenades amoureuses qui réveillent les souvenirs, décrire les dérives, l’instant de la chute, évoquer le hasard, les doutes et les tremblements, toujours avec une grande attention portée aux mots choisis, et la précision d’un artisan écrivain, sans chichi, mais avec à chaque fois le plaisir d’écrire et de décrire. Vous souscrivez à ces remarques ?
 
Complétement. Et je vous en remercie. J’essaie de capter, de voir, les petites choses qui nous sauvent ou qui nous achèvent. « Bricoler dans l’essentiel » dit Pierre Autin-Grenier à propos de la poésie. Garder le plaisir de la bricole et garder le souci de l’essentiel. C’est le chemin de toute une vie. S’amuser aussi, se jouer de la farce qui nous joue. Rire de nous. Sans se moquer. J’essaie d’écrire honnêtement sans tomber dans la facilité. C’est pas facile. Parfois j’y arrive je crois, parfois pas. Et pour ça je me sers plutôt de la matière que je connais. De ce que j’ai vécu, de ce que j’ai sous les yeux. De ce que je peux pêcher dans ce gros fleuve boueux. Je ne veux pas limiter le récit, plutôt trouver la matière juste pour inventer avec. Depuis deux ou trois ans je vais voir un peu ailleurs si j’y suis aussi. J’essaye d’élargir. Continuer à creuser, mais élargir. Pour ne pas m’enfermer, pour ne pas trop me reposer et pour m’amuser. Pour ce qui est du roman, je pense que les trois premiers formaient un ensemble qui est achevé maintenant. Le prochain qui arrive en septembre chez Alma est une nouvelle étape, un projet très important pour moi. Que j’ai mis trois ans à écrire. Plus éloigné de ma matière du quotidien, de l’intime et en même temps plus proche de ce que je suis, dans lequel je livre des choses qui m’animent profondément. Il s’appelle Le Camp des autres.
 
Enfin qu’est le livre que vous rêveriez d’écrire, et celui déjà écrit par un autre, que vous auriez aimé imaginer ?
 
Un mélange entre Moby Dick de Melville et La route de Cormac McCarty ou entre Serpent d’étoile de Giono et Mémoires sauvées du vent de Brautigan ou entre L’insurgé de Vallès et Et quelque fois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey, ou entre La métamorphose de Kafka et Au sud de nulle part de Bukowski ou… je peux continuer longtemps comme ça…
 
Philippe Chauché
 
 
 

 

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