jeudi 12 octobre 2017

Soluto dans La Cause Littéraire


« L’index suspendu, plus raide cependant, mais toujours au-dessus du bouton d’envoi, il prolongeait le film. Il fantasmait le retour anticipé de la déchue, son museau bouffi, les premiers mots de leurs retrouvailles, son refus de la moindre explication (« J’ai tout dit, relis-moi »). Sa dignité était reconquise, sa vie de malheur vengée. C’était la fin de la comédie du paraître, le retour alléchant de tous les possibles ».
 
Redites-moi des choses tendres est une comédie noire, qui aurait pu inspirer un film de Claude Chabrol, une comédie au vitriol, déclenchée par un email qui part trop vite sous les doigts d’Eugène, adressé à son épouse. Une lettre électronique qui va accélérer l’incendie qui couvait dans ce couple sans histoire. Comme dans les petites vignettes dessinées par Claire Bretécher, les enfants sont insupportables et tricheurs, les maîtresses tout autant, les hommes séducteurs, agressifs et dépressifs, on couche, on traficote, on se ment et l’on triche, on règle des comptes, on trahit, on tremble, on hurle et on pleure. Eugène travaille chez un opérateur de téléphonie, LiberTel&Net, et rêve d’avenir radieux dans les hautes sphères de sa belle entreprise aux méthodes de management pour le moins brutales. Barbara enseigne dans un lycée catholique à sections européennes où elle s’ennuie.
 
Leur port d’attache : le Havre, sa perdition : Berlin lors d’un voyage scolaire où elle succombe le temps d’une nuit allemande au charme de Fayed, un élève boxeur, séduit à son tour par sa maîtresse d’un soir. La fuite n’est plus possible, la machine à broyer ces destins est en marche, moteur pourrions-nous dire !
 
« Derrière son impeccable façade, Barbara s’était mise à douter systématiquement de qui la désirait. Elle avait fermé son ventre et reporté toute son énergie sur ses études, sa passion pour l’histoire, la démocratie, le féminisme. Sa libido s’était déplacée sur Tocqueville. Elle s’était mise à caresser des idées, à se pénétrer en douceur du despotisme mou ».
 
Soluto aime les histoires qui finissent mal, il dessine des situations absurdes, il tranche, coupe dans la chair de ses personnages, passe leurs passions tristes au filtre de la dérision, les ridiculise sous le projecteur de leurs dérisoires rêves, il passe ses personnages à la centrifugeuse de l’ironie et s’en moque joyeusement. Ce n’est pas le Charme Discret de la (petite) Bourgeoisie, c’est sa joyeuse caricature, son ombre fêlée. L’auteur qui est aussi dessinateur et peintre, offre là un roman d’une très grande logique littéraire, il conduit ses personnages jusqu’au surplomb des falaises, et ils n’ont pas besoin qu’il les pousse pour s’élancer dans le vide. Il les passe aux rayons X de la littérature pour mettre à nu leur vanité et leur cupidité. Roman cruel et drôle, Redites-moi des choses tendres, fouille et traque, déchire les petites trahisons, et les grandes offenses, met en lumière la cruauté des monstres ordinaires, et comme chez Claude Chabrol, on est au Cœur du Mensonge, et on s’en réjouit en chansons.

Philippe Chauché


http://www.lacauselitteraire.fr/redites-moi-des-choses-tendres-soluto

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