« Qui était-elle, cette “souris triste” ? Comment avait-elle vécu ? Qu’était-elle devenue ? Je devais mener l’enquête, je n’avais plus le choix. Il faut savoir s’incliner face à la combinaison de hasards qui gouverne nos vies. Je décidais, peu à peu, de partir à la recherche d’un certain M. Piekielny ».
Un certain M. Piekielny est le roman de cette recherche, le roman d’une enquête placée sous la belle combinaison des hasards objectifs qui enfante parfois de beaux livres. C’est aussi le roman de l’enfance d’un écrivain. Romain Gary, enfant à Vilnius – ce jour-là le soleil faisait grève –, croise un certain M. Piekielny, son regard et ses friandises, il en fait le bref récit dans La Promesse de l’aube. C’est une apparition en forme de promesse, comme devraient l’être les romans : Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Vilno, habitait M. Piekielny. C’est cette promesse, cette phrase. Promets-moi de prononcer mon nom dit-il, et mon histoire leur sautera aux yeux ! L’histoire d’un petit homme disparu, disparu en compagnie de quelques autres millions de Juifs d’Europe, une phrase et une histoire qui vont donner naissance à ce roman voltigeur et éblouissant.
François-Henri Désérable, en hockeyeur romancier, a l’art et la finesse d’accompagner sa phrase, ses phrases romanesques, de les faire glisser sur le fil du récit, de les lancer, et de les faire disparaître, et ainsi de composer une chorégraphie vive, légère et de très haute tenue sur la glace du roman.
« Me promenant dans Vilnius, je pensais donc à Venise. Vilnius était l’anti-Venise. Le temps y avait opéré selon des modalités différentes, avec des conséquences opposées : d’un côté – Venise – la cristallisation du passé, et de l’autre – Vilnius – son anéantissement pur et simple ».
La recherche d’un certain M. Piekielny est aussi celle de Romain Gary, recherche d’un personnage perdu, et d’un romancier aventurier. Russe devenu Français, et Anglais le temps d’une guerre, recherche d’un maître du mentir vrai – La vérité ? Quelle vérité ? La vérité est peut-être que je n’existe pas. Ce qui existe, ce qui commencera à exister peut-être un jour, si j’ai beaucoup de chance, ce sont mes livres, quelques romans, une œuvre, si j’ose employer ce mot. Tout le reste n’est que littérature –, de tout un art littéraire, follement français. – Les Folies Françaises. Romain Gary à Nice, à Londres, à La Paz, un peu hautain – comme le sont les condors –, toujours d’une élégance rare, Gary l’écrivain fêté, puis oublié, saisi par le temps et ses troubles, mais qui ne cesse d’écrire et qui enfante Ajar, son double, Romain Gary et ses deux Goncourt, Gary et ses femmes, Romain Gary qui s’invite sur la pointe des pieds dans ce judicieux roman, comme s’invite l’auteur, au nom si romanesque : Désérable, comme l’on dirait l’écrivain du désir du roman.
« Et puis le jour s’est levé au chant du coq allemand : Juden raus ! Piekielny a regardé par la fenêtre : il a vu la cour démesurée qu’ensoleillait septembre et qu’ombrageaient les soldats ; il a vu des casques et des chiens ; il a vu des Juifs encerclés ; il a compris qu’il devait les rejoindre ».
Un certain M. Piekielny prouve avec allégresse que les biographies d’écrivains fleurissent toujours sous les doigts d’autres écrivains. Recherchant les traces du violoniste à la barbe roussie par le tabac du n°16 de la rue Grande-Pohulanka, François-Henri Désérable découvre l’écrivain ambassadeur, et se découvre, se révèle, comme se révèle l’histoire des juifs de Wilno, massacrés, rayés de la carte européenne, de la carte du monde et ressuscités par le miracle du roman. Romain Gary, écrivain du miracle, a trouvé son biographe romanesque. Les belles admirations font de grands romans et Un certain M. Piekielny est de ceux-là.
Philippe Chauché
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