« Dans la vie éblouie par l’instant d’amour, où tout va sans rémission aucune ; oiseaux que nous sommes en fusion avec quel autre continent de nos propres origines, inconnues ? retenu par l’erreur fortuite d’une rencontre furtive, à pied d’air, l’homme jeune à genoux, goûte à sa langue percée d’un écrou qui adhère…
Le faut-il ? s’accorder avec le premier venu, comme si même à venir la vie se devait d’attendre la rencontre ; et se survivre à soi… ».
Le Trille du Diable accorde le roman, les romans, à l’improvisation musicale, la note, comme la phrase est tenue, elle virevolte et côtoie d’autres phrases, d’autres notes, qui ne cessent de résonner. Le Trille du Diable est un roman en résonnance avec la vie, les vies de Dominique Preschez. Dans la partition de sa vie vécue et romancée – Je vis, donc j’écris. Je vis, donc je joue –, l’écrivain musicien fait résonner sa phrase accordée à celle qui la précède et à celle qui va s’écrire, qui va naître – faire entendre les trilles avec ses petites figures de notes qui augurent de la suite –, comme naissent les accords les plus fulgurants et les plus surprenants. Et s’il mise sur la résonnance, il affectionne aussi les ruptures, les cassures, les changements de pied et d’accords, de tempo – écrire c’est aussi ne pas craindre de sauter dans le vide.
Le Trille du Diable est un roman absolu, qui se joue des contraintes littéraires, comme Antonin Artaud s’est joué des contraintes théâtrales. Le Trille du Diable s’appuie, comme l’organiste qu’est Dominique Preschez, sur des combinaisons de notes, de phrases et d’accords, qui s’offrent à ses mains et à ses pieds, il a la main et le pied légers. Tenir la note et la faire résonner, comme l’on tient une phrase et qu’on l’accompagne dans sa résonnance, l’écrivain s’y emploie avec brio. Sa partition : la vie qui s’ouvre à lui, qui s’est ouverte à sa jeunesse et à son adolescence sauvage.
« … A corps perdu, chante la cantatrice asservie à sa passion les litanies d’un livre d’heures, tout au long de la journée à se sentir délivrée d’elle-même à mesure qu’improvisant des récitatifs ad libitum, les notes de passages diatoniques ou chromatiques dessinent le corps solide d’accords imaginaires ouïs dans les corridors : neuvième dominante majeure à la Debussy libère son parfum de musc / de grenade sur la gamme par tons… ».
Le Trille du Diable est un fragment de roman, des romans fragmentés, saisis par le basculement tellurique des histoires qui s’y bousculent. C’est l’enfance, l’enfance et la musique, les corps et la littérature : A cor et à cri de Michel Leiris ô l’informaticien des mots, ici, La Cité d’Edgar Varèse timbres déterminés aux percussions chevauchantes & braillantes sirènes en alarmes premières, là, Les Clochards célestes de Jack Kerouac l’émerveilleux ensommeillé par le froid de l’eau qui engourdit ses pieds, ou encore La Mer de Debussy par Claudio Abbado-le-grand-Eclaireur & l’Orchestre du Festival de Lucerne. Le Trille du Diable, danse avec Ivan : il lui semble gagner du terrain sur la vie, comme une dernière forme de bonheur et avec Rachid, Rachid & Ivan ont cherché à s’enfuir du temps qui passe. Dominique Preschez est un faiseur d’images, comme l’on dit un faiseur de miracles, à la manière de Godard d’hier et d’aujourd’hui, celui de For Ever Mozart, Notre Musique ou encore Adieu au langage, il construit son roman en séquences qui se chevauchent, se poursuivent, s’ignorent, s’oublient, se retrouvent et se comblent de bonheur, comme deux corps amoureux.
« … Intubé sous l’eau remuée des draps marqués au sang : Chambre du crime six cent soixante-six à l’hôpital général, en ranimation nu / appareillé / dessanglé / heureux mortel, Ivan s’est vu revêtir un vêtement de Lumière… ».
« … De par une semblance d’inachevé Le Trille du Diable d’Ivan, à contre-courant, évoque un goût de revenez-y que délivrent les carnets d’amnésie, ou vain souvenirs… ».
Le Trille du Diable est aussi le roman du retour au langage (1), du langage retrouvé, mais qui reste encore frappé de soubresauts, de tremblements, le journal de bord d’un musicien en quête de mémoire, de mémoires romanesques, Romans(s) comme l’on dirait Trille(s), Chant(s), Choral(s), et Sonate(s), qui s’ouvrent sur la nuit, où des corps glissent entre les éclats des étoiles filantes, c’est ainsi qu’il convient de lire Le Trille du diable.
(1) En 1992, Dominique Preschez a été victime d’une rupture d’anévrisme le privant de toutes ses facultés y compris le langage.
http://www.lacauselitteraire.fr/le-trille-du-diable-romans-dominique-preschez
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