« Debout de trois quarts, elle penche vers nous un visage grave et tendre, mais on s’enfouit d’abord sous les plis de sa robe de soie corail bordée d’un galon doré, alourdie de brocarts et brocatelles – aux motifs d’artichauts, d’orles, de pommes de pin, couleur cendre et cannelle. Elle la soulève du bout des doigts comme si c’était chose légère » (Casilda de Tolède).
Haute couture est une pierre précieuse, un saphir, qui éblouit par ses fins éclats savants et lumineux. Un ouvrage tout en style, en finesse et en grâce. Un livre brodé et orné, consacré aux saintes de Francisco de Zurbarán, l’un des génies de la peinture espagnole du Siècle d’Or. Des saintes qui ont pour nom : Casilda de Tolède, Elisabeth de Portugal, Juste et Rufine, Catherine d’Alexandrie, Agathe de Catane, et Apolline. Des saintes venues de si loin et si resplendissantes sous le pinceau et les couleurs de Zurbarán le sévillan. Toutes plus touchantes et étourdissantes de présence, saisissantes par la beauté des soies et des brocarts dont le peintre a l’audace créatrice de les couvrir, la grande douceur des couleurs et les instruments de torture qu’elles arborent, comme des trophées, là une épée, ici un gros clou, ailleurs un bâton muni d’un crochet, ou encore une roue dentée.
« Les voilà donc prêtes à ressusciter et à entrer au paradis en habit de gala. Elles laissent loin derrière elles, sur terre, la cruauté des hommes quand leur désir est précisé. Car ces belles filles, pour la plupart, furent violemment désirées ».
Haute couture est leur brève histoire, l’histoire de ces saintes désirées et meurtries, aimées et trahies, de ces saintes en révolte – J’adore celui qui fait trembler la terre, que la mer redoute et que le vent et toutes les créatures craignent – et il n’est pas inutile de rappeler que Florence Delay fut la Jeanne d’Arc de Robert Bresson, la seule, l’unique, inoubliable par sa force, sa justesse, sa douce étrangeté, sa grâce, sa force miraculeuse, et sa noblesse. Le peintre sait ce que sont, d’où viennent ces saintes qu’il habille, qu’il fait revivre, comme il fait vivre ses toiles, ses « natures mortes », ses « vies silencieuses » en anglais, ses « bodegón » en castillan. Il peint ses oranges, ses pommes, comme un visage, les vies palpitent sous sa palette.
« La troisième à Séville, les yeux humides levés vers le ciel, attend son fiancé mystique. Sur son front, la ferme couronne du martyre. Elle se tient de trois quarts, encadrée par la roue dentée qui passa sur son corps et l’épée qui mit fin à ses jours. La main posée sur la roue dompte la cruauté, l’autre brandit sa victoire sur la mort. Vêtue de couleurs tendres, la promise attend, confiante. Sur sa robe rose-violet se déploie à partir de l’épaule une mante dont les motifs imprimés, jaune topaze et orangé, rappellent les pierres de la couronne ».
Haute couture est un passionnant et troublant voyage au centre de la peinture des saintes, de ces « vierges et martyres » théâtralement vêtues que l’on reconnaît de loin, grandes, jeunes, belles, tenant ou pas la palme du martyre, dévoilant ou cachant la trace d’un miracle. Secrètes. Florence Delay nous fait voir ces vierges, et nous fait entendre les battements de cœur du merveilleux Siècle d’Or – tout l’or des peintres : Diego Velázquez et Francisco de Zurbarán, et tout l’or des mots : Miguel de Cervantès, Lope de Vega, Tirso de Molina, Lope de Vega et Calderón de la Barca, que Florence Delay fréquente et admire, c’est son Espagne Or et Ciel.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/haute-couture-florence-delay
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