« Je passe devant une maison de prières où des chants s’élèvent, voix et louanges immuables qui disent ce qui ne peut être oublié. C’est quoi cette vie qui se concentre au cœur d’un paysage, entre les branches d’un amandier qui bientôt se remplira de boutons rose et blanc et cette sorte de curiosité comme le prolongement d’un savoir que je commence à explorer ? ».
Un hiver en Galilée est une promenade photographique, un roman photographié, comme nous dirions un roman dessiné, depuis la Galilée, et l’hiver à Safed. Le photographe met sa vie sur pause, il retarde le déclencheur, le temps de fixer l’objectif, de faire un pas de côté dans sa vie, de romancer cette nature inouïe qu’il découvre, ces traces de vie et de recueillement. Il croise un arbre ou un religieux curieux.
Dans le silence, il marche et des phrases sacrées se glissent entre ses doigts. Il marche, s’approche, s’arrête, et laisse la lumière imprégner le film photographique. Là une tombe bleue, ici deux arbres dressés vers la nuit qui s’annonce, une grenade éclatée par le soleil, plus loin un livre oublié sur une pierre tombale qui devient sculpture, un olivier qui domine un cimetière oublié, ou encore des lettres hébraïques gravées sur la pierre, sous un ciel bleu, gris, menaçant. Le photographe grave sur le papier ces mots saisis sur la pierre, ces phrases lues et entendues, celle-là : Celui qui sait ne parle pas, celui qui ne sait pas parle ; ou encore : Qui donne ne doit jamais s’en souvenir. Qui reçoit ne doit jamais oublier ; mais aussi : L’art est comme une prière, une main tendue dans l’obscurité, qui veut saisir une part de grâce pour se muer en une main qui donne, qu’on lui offre, des phrases chuchotées, des légendes et des sentences, qui seront la semence de son livre. Safed est une source, un rejaillissement pour le photographe qui un temps a voulu s’éloigner de l’agitation et des troubles du Monde. Ses livres, ses auteurs qui l’accompagnent ont pour nom Kafka, le Talmud, Paul Celan, Gershom Scholem, Rabbi Zousya, Walter Benjamin, tout un monde fait des bruissements de la langue.
« Le paysage est admirable. On y pénètre, on y marche, on l’arpente ; faire des photos c’est aussi une épreuve physique. Il existe une correspondance entre se déplacer dans la nature et la forme complexe d’une page du Talmud ».
Un hiver en Galilée est né de sensations, de visions, d’écoute, qui mieux qu’un photographe artiste pour voir et écouter, pour écouter voir et se voir écouter. A Safed il laisse l’histoire spirituelle le nourrir, les regards religieux le troubler, il écoute une voix amie, embrasse un corps offert et accordé à cette suspension du Temps. Le photographe s’éloigne, traverse la nature, croise des ombres, se tait, il tait son silence. Il s’est retiré du tumulte pour n’entendre que le murmure des collines, des lumières de Meron, des prières, les conseils de sa logeuse, marchant dans la légèreté de l’air. Il y aura des rencontres, un amour fugitif et quelques photos reproduites dans le livre, en écho au récit, sans jamais l’illustrer, elles portent en elles Un hiver en Galilée, et nous invitent au silence, et à l’aventure.
« Chaque jour il faut danser, fût-ce seulement en pensées, disait rabbi Nahman de Braslev. Nous dansons depuis notre arrivée à Saint-Jean d’Acre, même en ces jours pluvieux d’hiver avec ces lueurs délavées dans le lointain sur les hauteurs de Haïfa. Le ciel paraît s’élargir d’une vérité totale ».
Didier Ben Loulou est un photographe du Sud, des sud qu’il ne cesse de traverser et d’immortaliser, ici la Galilée, mais aussi Jaffa dans son bel ouvrage éponyme, Marseille, Palerme, Ashkelon, Jérusalem, ou encore la Grèce. Des images solaires, prises au plus près d’un visage, d’une porte ancienne, d’un immeuble à l’abandon, d’un champ de blé mûr, de jeunes enfants, les couleurs sont vives, et l’image piquée, vibre. Il saisit l’instant qui s’offre à lui, y compris dans sa désolation, sa douleur, son vide, sa pauvreté, et cet instant photographié et écrit devient beau sous son regard. Didier Ben Loulou est un photographe enchanté, qui ne craint pas le désenchantement du monde, qui sait en saisir les tremblements, et les pierres mémorielles s’enflamment sous son œil.
« Je me suis aventuré sur ces collines arides, y découvrant des stèles oubliées, des fragments de textes ou des livres abandonnés, autant d’indices à déchiffrer que de signes invitant à réfléchir sur toute vie appelée à disparaître. Cette Mémoire des lettres a nourri mon imaginaire ».
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/un-hiver-en-galilee-et-sud-didier-ben-loulou-par-philippe-chauche
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