« C’est ainsi qu’il faut débuter les chapitres dans les histoires qu’on note : très vite. Comme d’un jet. Comme la première des lettres. Comme un taureau qui fonce.
Avançant le pied gauche dans le jour et le monde, pied droit scellé pour toujours dans la porte d’Eden ».
L’enfant d’Ingolstadt est la nouvelle suite d’une odyssée savante, goûteuse, troublante, inspirée, le nouvel opus d’une encyclopédie unique, et vibrante comme une pièce musicale de Marin Marais. Il y a seize ans, Pascal Quignard, nous offrait le premier acte de cette fresque littéraire, musicale, et historique, à la langue inspirée : Je ne cherche que les pensées qui tremblent.
Aujourd’hui, tel un augure, il découpe à l’aide de sa plume sacrée, un rectangle dans ce Royaume, où se mêlent la Grèce, la Chine, des musiciens, des peintres, les rêves, et le faux et son attrait : Comme l’eau écrase le plongeur qui a gagné le fond de l’océan, le silence écrase l’homme tandis qu’il est en train de regarder ce qui le sidère.
L’enfant d’Ingolstadt est la nouvelle sonate de l’écrivain français le plus singulier, d’un artiste qui pratique l’alchimie littéraire, cet art secret de transformer tout ce qu’il effleure en littérature, c’est-à-dire en or. Rien ne lui est étranger et inconnu, sa bibliothèque est infinie. On ouvre le livre et Lancelot s’invite, Le fantôme de la reine était inscrit au fond de son regard, mais aussi le peintre Robert Nanteuil à la main infaillible, ou encore Colette seule à son piano, le « sans personne » est la joie de l’âme, ou encore son ami Jean Rustin très présent dans cet ouvrage : Il était peintre. La fascination, telle était l’idée fixe de cet homme que j’aimais.
Pascal Quignard est fasciné par ce qu’il voit, ce qu’il lit, ce qu’il écoute, ce qu’il sent, troublé par le murmure des siècles, qu’il transforme en littérature à fleur d’âme, de sexe et de peau.
« Mosaïque est un mot à la graphie si étrange. On croit y lire Moïse. L’ancien français préférait écrire “musique” plutôt que “mosaïque”. “Mousikos anèr” disaient les Grecs pour nommer le lettré. Le “litteratus vir” des Romains est l’homme des Muses des Grecs qui s’est spécialisé dans l’accroissement des livres à l’intérieur de l’espace privé et qui a préféré finalement la lecture à la contemplation ».
Le dixième épitre du Dernier Royaume est un monument aux multiples portes et fenêtres, aux mille fractures rocheuses où l’on peut se glisser, parfois avec effort, mais toujours animé par la secrète passion de la découverte joyeuse. C’est une mosaïque de langues : le français d’aujourd’hui ou d’avant hier, le grec, le latin, des langues qui mot à mot écrivent ce livre si étrange. Un livre où l’on prend plaisir à s’égarer, à le retourner, le laisser reposer, comme ces tableaux se souvenant des natures endormies, à le prendre à nouveau au hasard cette fois, et se laisser une nouvelle fois séduire par cette effervescence de la pensée, ce chatoiement de la langue, par sa musique ancienne et savante. C’est là, toute la profondeur vibratoire, tellurique, de ce livre monstrueux, qu’il convient de montrer et donc de lire, de dire ceque l’on est en train de lire – S’il lit vraiment il voit le monde invisible que les mots évoquent, là où l’âme aime aller.
L’enfant d’Ingolstadt est un livre où renaissent des saints, ici Florent à la cour du roi Dagobert, là Julien qui entraîne vers la mort un homme qui la simulait, ou encore Lucie aux yeux posés sur un plat rond dans une évocation inoubliable du peintre Zurbaran, un livre où abondent les rêves et les songes, où se dessinent des peintres musiciens, et où rode la mort et le trou qu’il nous faut creuser. Un livre comme un tableau de Cézanne, composé de couches et de strates qui l’illuminent de l’intérieur
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/l-enfant-d-ingolstadt-dernier-royaume-tome-x-pascal-quignard-par-philippe-chauche
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