dimanche 27 octobre 2019

Julien Battesti dans La Cause Littéraire


« Comment ne pas voir que chaque ouvrage théologique était un exemplaire de ce grand “livre sur rien” que les écrivains les plus ambitieux convoitaient ? Je n’ai jamais jugé utile de dire à mes professeurs que j’envisageais la théologie comme un genre littéraire car de la littérature, encore aujourd’hui, je n’attends pas moins que la résurrection et la vie éternelle ».

L’Imitation de Bartleby possède le pouvoir romanesque de faire se lever les morts du néant où on les a abandonnés. De faire entendre des voix, celle de Bartleby, le scribe de Melville, I would prefer not to, qui irrigue toujours les admirateurs de l’éblouissant aventurier de Manhattan et des îles du Pacifique. I would prefer not to, qui peut vouloir dire Je préférerais ne pas, Jean-Yves Lacroix, ou encore Je préférerais n’en rien faire, mais aussi J’aimerais mieux pas, sous le regard cette fois de Michèle Causse, l’autre voix que fait entendre Julien Battesti, l’écrivain inspiré. Une voix et un visage accompagnent ce roman, gracieusement composé. L’imitation de Bartleby est un roman visité, habité par Melville et Michèle Causse.
 
L’écrivain-traducteur a préféré ne pas vivre plus longtemps, et a choisi de dé-naître. Michèle Causse va s’installer dans la glaciation de la mort annoncée – Je me demande où nous sommes allés chercher que la vie est sacrée –, voulue, organisée, filmée, dans sa chambre de Dignitas, cette officine suisse de la mort programmée et assistée : « Vous voulez vraiment mourir aujourd’hui ? – Absolument – Parce que si vous buvez ce médicament, vous allez mourir. – Oui. C’est ma volonté ». Dans les premières lignes de L’imitation de Bartleby, le narrateur cloué au sol par trois hernies discales se prive de mouvements pour ne pas souffrir, de mouvements et des rumeurs du monde, laissant les images de sa vie passée surgir dans son esprit, en s’accrochant les unes aux autres par association d’idée.
 
« Bien que son nom, la plupart du temps, soit associé aux expéditions navales, je n’ai jamais imaginé Herman Melville autrement que marchant seul dans les rues de New York, à la recherche des phrases qui pourraient le faire vivre ».
 
Julien Battesti invente une machine à remonter le temps, à défier l’espace, à épouser le savoir biblique, le narrateur est amateur de théologie, curieux de sainteté et de résurrection, grand lecteur de la Bible, comme son complice Melville, qui en nourrit ses livres. L’écrivain invente une machine littéraire, pour sauver Michèle Causse de sa mort annoncée, de sa nouvelle et définitive mort, le jour de son anniversaire. Le chemin menant à Bartleby va conduire le narrateur sur les pas inspirés de Michèle Causse – les traducteurs, ces ombres vivantes parfois illuminent les auteurs –, et aux portes de cette clinique suisse où elle se réfugie, avant d’en finir avec la vie, elle qui est morte plusieurs fois. Michèle Causse veut en finir avec la vie, et avec Herman Melville qu’elle connaît sur le bout des lèvres. Ce roman mise sur la délivrance, et donne à la littérature cette mission divine de sauver les corps et les âmes, et cette délivrance passe par le hasard de la rencontre avec la pierre tombale de James Joyce et d’un certain Alexander Odysseus Bohley, dans la ville qui fut la dernière escale physique de Michèle Causse. L’anonyme Ulysse et l’Irlandais volant, réunis dans ce cimetière, donnent de nouveaux élans à l’écrivain, qui se demande s’il a, comme Michèle Causse, lui aussi refusé l’immortalité.
 
L’imitation de Bartleby est un livre inspiré par Melville et ses admirateurs, par Bartleby, cette incroyable figure littéraire, et par Michèle Causse, dans ses doutes et ses broderies de traductrice, leurs mots, et leur histoire, par magie, soigne le narrateur de ses maux. Les livres magiques ont des effets inouïs sur leurs auteurs, et parfois sur leurs lecteurs.
 
« Les choses naturelles et moi avons longtemps vécu chacun de son côté. Je ne parle pas seulement des végétaux, bien sûr, mais de toutes les choses qui savent durer dans l’état naissant, comme les rafales de vent ou les phrases d’un beau livre. Car c’est la littérature qui fit pour moi office de lieu naturel : le lieu le plus sauvage et le seul respirable ».

Philippe Chauché

https://www.lacauselitteraire.fr/l-imitation-de-bartleby-julien-battesti-par-philippe-chauche

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