« Aucun historien contemporain n’a été pareillement habité d’une réflexion sur la mémoire historique, sur sa position d’observateur, sur les sources et les archives. Aucun n’a su établir, entre le foyer de son travail, les XI° et XII° siècles, et le temps présent, une dialectique qui l’amena à déclarer, à l’instar de Michelet : “Je suis tout prêt à dire que ce que j’écris, c’est mon histoire” », Pierre Nora
« L’importance que Georges Duby a accordée à la valeur esthétique du discours historique a ouvert une voie stimulante, que nul après lui n’a osé emprunter aussi passionnément », Filipe Brandi
« Dans une poussière de canicule qui se lève, obscurcit tout et fait qu’on peine à se reconnaître, le crâne bourdonnant sous le heaume surchauffé, les yeux aveuglés par la sueur, ces joueurs de première catégorie entendent n’affronter que leurs pairs », Le Dimanche de Bouvines, La Victoire, Georges Duby
Admirable et précieux, deux mots qui s’imposent lorsque l’on découvre cette édition des Œuvres de Georges Duby, mise en lumière par le papier bible – le papier d’or de l’édition française – de la Bibliothèque de la Pléiade. Admirable dans sa forme et précieux dans son contenu. De sa Leçon inaugurale au Collège de France, en passant par Le Temps des cathédrales, Les Trois Ordres, l’étourdissant Guillaume le Maréchal et enfin les Dames du XIIe siècle.
L’historien, le médiéviste, le compagnon de route des Annales, l’homme des enracinements personnels, le professeur, le chercheur, le conférencier affûté, l’écrivain remarquable, le passeur d’Histoire et d’histoires trouve ici une place exceptionnelle, une édition à la hauteur de son érudition.
Ses évocations, ses récits, ses immersions, ses fines réflexions, conjuguent à merveille le savoir historique, les savoirs à la saveur du verbe. Il suffit pour s’en convaincre de lire et de recopier – pour savoir écrire, il faut savoir lire, et donc recopier mot à mot ces phrases racées qui donnent corps et âme aux livres de Georges Duby – les premières phrases de chacun des ouvrages de cette édition qui deviendra éternelle : L’année 1214, le 27 juillet tombait un dimanche. Le dimanche est le jour du Seigneur. On lui doit tout entier. Mais aussi : Le XI° siècle, pour les peuplades de l’Europe occidentale, fut le moment d’une lente émersion hors de la barbarie. Ou encore : Il n’y a plus désormais qu’à laisser faire le temps, attendre, suivre les progrès de cette agonie qui traîne. Qu’il s’aventure dans la Bataille de Bouvines, ce duel entre deux « bannières », deux conrois, des corps soudés pour une tâche collective.
Qu’il explore Le Temps des cathédrales, cet éblouissement de la chrétienté latine, ses monastères, son Dieu et ses hérésies, ses moines, son âge de raison, sa lumière, le mouvement de la culture, cette longue et vibrante révolution des hommes, des livres, des musiques et des pierres : Le monde monastique ne cherche pas à raisonner sa foi, ni d’effet, ni de preuve, mais de communiquer avec l’invisible, et nulle voie ne lui paraît plus directe que l’expérience du chœur liturgique. Ou qu’il dresse l’admirable portrait de Guillaume le Maréchal, le meilleur chevalier du monde, l’inouï tournoyeur, dans un roman de la fin annoncée, un roman du murmure, des intrigues du pouvoir, du silence et de l’honneur, un théâtre de la guerre : Au terme de la fête funéraire, allongé sur la bière devant la tombe ouverte, le corps du Maréchal, muet, parlait encore.
Georges Duby s’attache aux faits, à l’événement, à ces instants qui bouleversent l’Histoire, qui transforment la France, mais aussi, à ces fils tendus par tous et entre tous les acteurs de ce monde majeur qu’il arpente d’un pied léger, il en dresse les portraits, les enjeux et les croyances, confrontés aux vagues et aux vents qui se lèvent. En historien des hommes, des guerres, de la religion, des rois et des chevaliers, Georges Duby se fait aussi géographe méticuleux de l’Histoire de France, d’une France mouvante et troublante.
« La ville professait un christianisme ardent mais lyrique, et qui s’épanchait en mouvement d’affectivité », Le Temps des cathédrales.
Georges Duby, historien du pouvoir et des pouvoirs, du religieux, et de l’art, fascine par son regard, ses explorations des possibles de l’Histoire, et les témoignages de ses grands témoins. Il embrasse le détail, comme il décrit les groupes humains, ceux qui fomentent, bâtissent, et nourrissent l’Histoire qui devient. Dans ces récits et ces histoires, s’offrent mille portraits, mille détails, qui enflamment le récit, et le rendent follement romanesque. Ses ouvrages affinent l’Histoire du pouvoir, des guerres – Ouverte vers le sacré, la bataille s’ordonne en liturgie –, des trahisons, du courage et des allégeances. Pour Georges Duby, l’Histoire est un nuancier, nuances dans les batailles, dans l’avènement des cathédrales, nuances dans la constitution de corps sociaux, dans les portraits des Dames du XIIe siècle – Aliénor, Marie-Madeleine, Héloïse, Iseut : A tous, jeunes ou vieux, mariés ou célibataires, aux femmes de la cour aussi, Iseut présentait une figure exemplaire de la féminité. Iseut est une dame. Davantage : c’est une reine.
L’Histoire est ici chez elle dans les Œuvres de Georges Duby et l’écrivain historien lui donne des ailes, lui offre un trône royal, un territoire, un pays, une nécessité, porté par sa vivacité de conteur lettré, et d’historien admirable qui croit aux faits, et sait comme aucun autre embrasser le Monde féodal, un monde qu’il rend vivant, vivifiant et effervescent.
« On peut tenir la Divine comédie pour une cathédrale, la dernière ».
Philippe Chauché
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