« Telle fut la fin de l’ingénieux hidalgo de la Manche, dans un village dont Sidi Ahmed n’a pas voulu préciser le nom, pour que tous les bourgs et villages de la Manche se le disputent et se l’approprient, comme les sept villes de Grèce s’étaient disputé l’honneur d’avoir vu naître Homère », L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche (1).
« On aurait dit que celui-ci était un personnage à propos duquel on pouvait écrire non pas un ni deux, mais deux cents ouvrages, car ces évènements racontés par Sidi Hamed et traduits par Cervantès, qui se déroulaient lors des différentes sorties de don Quichotte, pouvaient encore être agrémentés de détails et complétés et enrichis de mille nuances qui transformaient le livre en une narration sans fin », Suite et fin des aventures de Sancho Panza.
L’ingénieux Miguel de Cervantès publie en 1604 la première partie de Don Quichotte, et c’est en 1615 qu’est imprimée la suite de ce livre unique, qui porte sur les fonts baptismaux l’art romanesque moderne. André Trapiello décide d’en poursuivre l’histoire éternelle et les aventures réjouissantes. Peu de livres déclenchent un tel engouement, une telle passion et tel talent d’écrivain, preuve s’il en était que lire, façonne son écriture, à bon lecteur, parfois bon écrivain. Pas un espagnol qui n’ait à l’oreille et en mémoire ces aventures exceptionnelles, racontées ou lues, ce délicieux récit de l’incroyable chevalier à la triste figure et de son savoureux écuyer, sur les chemins d’Espagne, de la Manche à Barcelone, ces leçons de courage, de justice, de rigueur, d’à propos, et ces éclats de douce folie.
« Don Quichotte est mort, mes amis, mais Sancho est là pour nous confirmer avec précision la véracité de tous ces évènements lorsque ces nouvelles aventures sortiront des presses, tout comme nous pourrons voir de nos propres yeux la réalité de maintenant, un rien estompée », A la mort de Don Quichotte (2).
Le temps semblait s’être arrêté dans la Manche, les compagnons de Don Quichotte endormis par quelques maléfices, mais la baguette magique d’Andrés Trapiello va les réveiller, leur redonner souffle et vigueur. Don Quichotte disparu, Andrés Trapiello entraîne Sancho, sa nièce Antonia, le bachelier Samson Carrasco et la gouvernante Quiteria sur les chemins qui mènent à Séville, avant d’embarquer pour l’Inde, ils vont prendre la mer et y croiser notamment un pirate anglais lettré, qui n’ignore rien des aventures de Don Quichotte, et des comédies de Shakespeare – ces deux géants ont-ils eu en mains leurs écrits réciproques, se sont-ils croisés, certains l’imaginent, mais l’Histoire veut qu’ils soient tous les deux morts en avril 1616, l’un le 22, l’autre le 23, il y a là un formidable roman à écrire –, et tant d’autres curieuses choses plus réjouissantes les unes que les autres. Ici point de géants, de moulins à vent, de Biscayen, ou de moutons, mais des brigands, et un notaire tout aussi mal intentionnés que ceux que croisa Don Quichotte dans son périple chevaleresque. Suite et fin des aventures de Sancho Panza est le roman picaresque de Sancho et de ses amis, un roman d’aventures, en mer et sur des terres éloignées, placé sous la haute protection de l’ingénieux hidalgo de la Manche, et du bon sens de Sancho. Pas un instant sans que la figure romanesque du héros n’éclaire les exploits de ses amis, prouvant à chaque page qu’aucune histoire au monde n’a jamais cessé d’être racontée, et que même le meilleur des tisserands peut laisser dépasser un fil. Andrés Trapiello se saisit de ce fil littéraire, et tisse un formidable roman racé, inspiré, et réjouissant de drôleries.
« Rien ne sert de regarder en arrière ni de regretter ce qui s’est passé. Antonia et moi sommes jeunes, l’aurore point, les astres indiquent au firmament la nouvelle de notre bonne fortune, et vous, ami Sancho, amie Quiteria, et toi, mon épouse, écrivons le nouvel âge d’or de la Manche », Suite et fin des aventures de Sancho Panza.
Andrés Trapiello se glisse dans la peau de Miguel de Cervantès, il fait corps avec sa langue d’une inouïe vivacité, avec Don Quichotte et ses amis, et nous livre une formidable épopée, une odyssée inspirée, étourdissante, réjouissante, extravagante, servie par un style époustouflant, fleuri, savoureux, surprenant, qui rendent ce roman indispensable à tout lecteur passionné – comment ne pas l’être ? – des éternelles aventures de Don Quichotte. Et comme fleurissaient au siècle du Quichotte les romans de chevalerie, le nôtre nous offre ces éclats érudits et piquants, fidèles à ce géant des lettres que fut Cervantès. Parfois la fidélité aux grands livres enfante de beaux enfants romanesques, ils ont l’audace de leur père, et l’originalité de leur jeunesse.
Philippe Chauché
(1) Miguel de Cervantès, traduction d’Aline Schulman, 1997, Seuil
(2) Andrés Trapiello, traduction Alice Déon, 2005, Buchet-Chastel
http://www.lacauselitteraire.fr/suite-et-fin-des-aventures-de-sancho-panza-andres-trapiello-par-philippe-chauche
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