vendredi 29 octobre 2010

Monet




" A Etretat, il court les falaises pour peindre. Et Maupassant de décrire la scène : " J'ai souvent suivi Claude Monet à la poursuite d'impressions. Ce n'était plus un peintre, en vérité, mais un chasseur. Il allait, suivi d'enfants qui portaient ses toiles, cinq ou six toiles représentant le même sujet à des heures diverses et avec des reflets différents. Il les prenait et les quittait tour à tour, suivant tous les changements du ciel. Et le peintre, en face du sujet, attendait, guettait le soleil et les ombres, cueillait en quelques coups de pinceau le rayon qui tombe ou le nuage qui passe, et, dédaigneux du faux et du convenu, les posait sur sa toile avec rapidité. Je l'ai vu saisir ainsi une tombée étincelante de lumière sur la falaise blanche et la fixer avec une coulée de tons jaunes qui rendaient étrangement le surprenant et fugitif effet de cet insaisissable et aveuglant éblouissement. " (1)

On ne saurait mieux dire et donc mieux peindre, on ne saurait mieux saisir sur le motif les choix de l'artiste, finalement on ne saurait mieux vivre.

Imaginez la scène aujourd'hui, un homme politique intransigeant et brillant, un peintre génial qui se rencontrent, s'écoutent, se voient, s'admirent, s'aident, s'écrivent, c'est inimaginable, question de style.

L'art, l'amour, le politique est toujours une question de style, et son absence aujourd'hui saute aux yeux à la lecture de cette biographie lumineuse.

Le style donc : " Un jour, j'avais trouvé Monet devant un champ de coquelicots, avec quatre chevalets sur lesquels, tour à tour, il donnait vivement de la brosse à mesure que changeait l'éclairage avec la marche du soleil. (...) On chargeait les brouettes, à l'occasion même un petit véhicule campagnard, d'un amas d'ustensiles, pour l'installation d'une suite d'ateliers en plein air, et les chevalets s'alignaient sur l'herbe pour s'offrir aux combats de Monet et du soleil. " (1)

Style de Clemenceau face à celui de Monet.

Un tableau est une guerre, sur le motif tout d'abord, puis face au marché et à l'académisme dominant. Il est amusant de constater qu'aujourd'hui, en peinture, mais pas seulement, un renversement s'est opéré. Les artistes ou ceux qui se pensent ainsi, n'ont d'autre objectif que d'appartenir au marché dominant, au nouvel académisme si bien coté en bourse, et dégoulinant de suffisances, et il n'est pas étonnant de constater que si peu, deux ou trois, savent dessiner un coquelicot ou un nénuphar, ne savent rien des manières de se confronter au motif, et n'ont aucune idée, de l'inouï d'une brosse magique qui porte au coeur des fleurs chacune des vibrations qui les traversent.

Le style est toujours une offense au marché et aux marchands.

Lisons. Clemenceau toujours : " Peignez, peignez toujours, jusqu'à ce que la toile en crève. Mes yeux ont besoin de votre couleur et mon coeur est heureux. " (1)

Netteté du style de Monet : " Ici (...) c'est adorable, et je découvre tous les jours des choses toujours belles. C'est à en devenir fou, tellement j'ai envie de tout faire. (...) Je me propose des choses épatantes. (1) On croit entendre Picasso, peignant sur le motif des corps. " Je commence a être dans le feu du travail et n'ai guère de temps. " (1)

Style de Manet, son ami : " Il n'y en a pas un dans toute l'école de 1830, qui plante un paysage comme lui. Et puis l'eau. Il est le Raphaël de l'eau. " (1)

Style de Mallarmé : " Claude Monet aime l'eau, c'est son don spécial d'en représenter la mobilité et la transparence, eau de mer ou de rivière, grise et monotone, ou de la couleur du ciel. Je n'ai jamais vu de bateau plus légèrement suspendu sur l'eau que dans ses tableaux, ou gaze plus mobile et plus légère que son atmosphère en mouvement. " (1)

Style de Clémenceau enfin : " Non ! Pas de noir pour Monet." Clemenceau arrache le drap noir qui recouvre le cercueil de Claude Monet. Il le remplace par un drap de fleurs qui se trouve à portée de main, " une cretonne ancienne aux couleurs des pervenches, des myosotis et des hortensias. "




Clemenceau, Monet, deux caractères : " manière d'être propre à un style, (...) signe de l'écriture, (...) charme, sortilège magique, (...) signe magique. " (2)

Peintre magicien, écrivain sortilège, que demander de mieux.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Claude Monet - Georges Clémenceau : une histoire, deux caractères / Biographie croisée / Alexandre Duval-Stalla / L'Infini / Gallimard / 2010
(2) Dictionnaire historique de la langue française / sous la direction d'Alain Rey / Le Robert

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