" Je passe parfois des heures, sur la place du Torreiro do Paço, au bord du fleuve, à méditer vainement. Mon impatience veut sans cesse m'arracher à cette quiétude, et mon inertie m'y retient aussi sans cesse. Je médite donc, dans une torpeur de l'être physique qui ressemble à de la volupté autant que le murmure du vent peut évoquer des voix, dans la perpétuelle insatiabilité de mes vagues aspirations, dans la constante instabilité de mes impossibles désirs. Je souffre, en tout premier lieu, de cette maladie de pouvoir souffrir. Il me manque quelque chose que je ne désire pas, et je souffre parce cela n'est pas réellement souffrir.
Le quai du fleuve, la tombée du jour, l'odeur de l'eau - tout cela entre, et entre conjointement, dans la composition de mon angoisse. Les flûtes d'impossibles bergers ne pourraient être plus suaves que leur absence même, et que l'évocation, grâce à cette absence, de ces flûtes irréelles.
De lointaines idylles, sur les berges de quelque ruisseau, me blessent d'une heure semblable, au-delà de moi (...) " (1)
Il passait souvent des heures à regarder le fleuve, laissant les derniers rayons du soleil d'hiver disparaître dans le gris sombre des eaux, c'est ce qu'il écrit. A quelques pas de là, s'étaient nouées quelques aventures dont il avait ailleurs dessiné les contours. Un corps y avait coulé, et il se demandait si c'était le sien. Une ombre errante l'enveloppait et lui faisait perdre ses dernières désillusions.
" Organiser notre existence de façon qu'elle soit aux yeux des autres un mystère, et que ceux mêmes qui nous connaissent le mieux nous ignorent seulement de plus près que les autres. J'ai façonné ainsi ma vie, presque sans y penser, mais avec tant d'art et d'instinct que je suis devenu pour moi-même une individualité, mienne sans doute, mais qui n'est ni clairement ni entièrement définie. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Le livre de l'intranquilité / II / Fernado Pessoa / traduct. Françoise Laye / Christian Bourgois Éditeur
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