vendredi 23 mars 2012

Choses Lues


" Les livres que je n'ai pas écrits, n'allez surtout pas croire, lecteur, qu'ils soient pur néant. Bien au contraire (que cela une bonne fois soit dit) ils sont comme en suspension dans la littérature universelle. Ils existent dans les bibliothèques, par mots, par groupe de mots, par phrases entières dans certains cas. Mais il y a autour d'eux tant de vain remplissage, ils sont pris dans une telle surabondance de matière imprimée, que moi-même à vrai dire, malgré tous  mes efforts, n'ai pas encore réussi à les isoler, à les assembler. Le monde en fait me paraît rempli de plagiaires, ce qui fait de mon travail une longue traque, la recherche têtue de tous ces menus fragments inexplicablement dérobés à mes livres futurs. " (1)

Il prend toujours les écrivains aux mots, comme d'ailleurs, note-t-il, il prend les siens à la lettre, il aggrave aussi parfois son cas en se faisant passer pour tel ou tel écrivain dont il a lu le nom dans l'annuaire des écrivains vivants ou en passe de l'être, point n'est ici besoin, ajoute-t-il, de décliner leurs noms, ils se reconnaîtront, s'ils le lisent, ce qui est improbable, et comme on lui dit souvent " qu'en matière d'improbabilité, il bat tout les records ", il en sourit, car, pense-t-il, sourire avec les écrivains - même s'ils sont absents, - est toujours plus réjouissant que pleurer tout seul sur son absence de talent, un constat qu'il prend aussi très au sérieux, et même à la lettre, mais là n'est finalement pas l'objet, il livre ici pour le plus grand délice de sa plume, c'est la première avertie, quelques phrases qu'il n'a jamais écrites, mais qui encombrent son bureau depuis des semaines :

" Comme si j'étais à l'intérieur du livre de Joyce, je sens le poids de la ville endormie, le silence de ces heures, une ballade lointaine, la querelle de quelques ivrognes au loin, que le vent apporte par rafales. " (2)
" Ma vie radote. " (3)
" Tout à ma joie, je regardais le ciel, la lune, pleine, point sur l'i de la Giralda : j'ai marché dans du crottin. " (4)
" Le dernier jour de l'année, elle commanda le bois et le vin, ouvrit le portes et les fenêtres de la villa Pauline, et suspendit les draps au soleil. " (5)
" Que prépares-tu ? " me demandent parfois mes proches. " (6)
" Ton conseil est profitable, s'il y a du profit dans le pire. (7)
" Ainsi êtes-vous parvenu à ce que les peintres lettrés de la Chine ancienne appellent " l'art sans art ". " (8)





à suivre

Philippe Chauché

(1) Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres / Marcel Bénabou / Perspectives Critiques / Puf / 2002
(2) Chet Baker pense à son art / Enrique Villa-Matas / traduc. André Gabastou / 2011
(3) Frédéric Beigbeder / L'amour dure trois ans / Grasset / 1997
(4) Maestranza / Jack-Alain Léger / L'Arpenteur / Gallimard / 2000
(5) Brève vie de Katherine Mansfield / Pietro Citati / traduc. Brigitte Pérol / Quai Voltaire / 1987
(6) Une fille pour l'été / Roland Jaccard / Zulma / 2000
(7) Antigone / Sophocle / traduc. Jean Lauxerois / Arléa / 2005
(8) Cézanne un grand vivant / Charles Juliet / P.O.L. / 2006


7 commentaires:

  1. Pourquoi écrit-il si peu de ses articles?

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  2. Il écrit ses siestes en quatre actes.

    Bien à vous anonyme invisible.

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  3. MAIS SON BLOG EST À L'HEURE DE MOSCOU !!!!!

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  4. Lu le Benabou il y a quelques années, aimé.
    (et pas : Lo le bonobo il a quelques anneaux émos.)

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  5. A la toute fin, manque le 'c' à 'ancienne'.

    Que voulez-vous, je prends les mots à la lettre...

    Bien à vous.

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  6. Bien lu, bien vu,
    merci pour le "c" perdu que vous m'avez fait retrouvé.

    Bien à vous

    Philippe Chauché

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  7. Philippe Hauhé se rassemble, mute, le têtard devient grenouille, la chenille rhodoptère, le Hauhé retrouve le Chauché

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