lundi 9 décembre 2013

Descartes dans La Cause Littéraire

Un amour de Descartes, Jean-Luc Quoy-Bodin


Un amour de Descartes, Jean-Luc Quoy-Bodin

« Il prêtait une oreille attentive à son babillage. Il aimait ses éruptions de sons, ces éclats de mots, ce magma du langage qui n’est pas encore la parole. Partition atonale, échos dissonants de ses appétits et de ses affects. Sans se l’avouer, il appréhendait ce moment où les sons allaient se dénouer, éclore, s’envoler et devenir des mots, des mots durs, tranchants, blessants, des mots de grands puis des adjectifs ; il allait être nommé, évalué, corrigé, contredit. C’est que l’enfant a ses maux à dire, sa vérité à faire éclater. Il somme l’adulte de l’écouter ».
En Hollande, René Descartes tombe sur une fleur, sa Francine, sa fille, sa fleur aimée. Il en tirera quelques leçons de vie, donc de pensées. Un éclair, ce mouvement du temps qui file à la vitesse de la lumière, dont il va se nourrir, comme l’on se nourrit d’un sourire, d’un mot, d’une danse d’enfance. L’enfance de l’art et de la raison, l’un ne va pas sans l’autre. L’autre, cette enfant qui le fixe, l’écoute, l’interpelle, lui montre ce qu’elle voit avec ses mots, qui vont un temps le détourner de ses maux.
Enfance nommée, sentie, qui le bouleverse et dont la mort très tôt venue le retourne, comme l’on retourne une pensée, assommée, plus rien à écrire, ou bien d’autres mots, d’autres théories qui vont s’en nourrir, passage par la vision de la mort réelle. Il n’en tire aucun fatalisme, aucune envie de prêcher, mais seulement un bouleversement sensoriel, que l’on pourrait aussi dire sensuel. Descartes face à l’enfance, comme Jean-Luc Quoy-Bodin face au récit, au sens propre, du réel à l’imaginaire, une affaire de sensation là aussi, une affaire sensuelle, florale et finalement romanesque. La vie d’enfance papillonne sous les yeux de Descartes, elle se barbouille de confiture, étoile filante, sauts de puces sur un pied, sourires de la surprise, toupie qui tourne dans le cœur du philosophe. Il s’en souviendra dans ses Méditations.
« Elle, lui a fait don de son vif-argent ; de l’azur de son innocence ; de la rivière diamantée, intarissable, de son babil. Elle, lui a fait entrevoir un autre ordre du monde, celui de la fantaisie, du hasard, de l’élan. Un monde vers le haut à l’opposé du monde des hommes, newtonien, pesant, vers le bas. Aimer, c’est gravir ».
Un amour de Descartes, récit vif-argent, léger, qui claque parfois comme un fouet, qui s’ouvre d’autres fois comme une tulipe, qui s’élance, comme une enfant qui danse pour son père, admirable récit du récit du Discours en devenir. On s’en souviendra.

Philippe Chauché

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