« Je m’appelle Charles. J’ai
soixante-neuf ans la semaine prochaine. Et je me suis lancé à la conquête de
l’identité de mon père. Je sais que c’était un résistant. Je connais son
prénom, Pierre. Personne ne m’a révélé son vrai nom. Il faut avouer que je ne
l’ai jamais cherché. Jusqu’à cet été ».
Roman de l’origine, et origine du
roman, c’est le principe actif d’Un été
sans alcool. Son terrain
d’expérimentation : celui des eaux troubles de l’occupation et de la
résistance, de ce qui a été dit et donc caché. Celui de la mémoire partielle,
des affirmations et des rumeurs. Roman français, s’il en est. Sans identité,
sans trace, sans visage, sans mémoire, point de récit national, et par extension point de récit particulier
et romanesque. Un été sans alcool
est le roman de la recherche de l’identité et de l’histoire du père du
narrateur, mais aussi de sa mère.
Le temps est venu d’en savoir plus et
de ne plus se contenter de ce qui s’est colporté. Le temps de Charles est
compté, alors il se plonge dans ce qui a fondé son existence, sa naissance, au
cœur de la guerre, de l’occupation et du maquis.
Le récit de cette aventure est porté
par trois regards, le sien, celui de Matt, le jeune homme qui seul va le
secourir après une agression dans un parc, et devenir son enquêteur attitré,
Maika la jeune amoureuse de Matt, fruit du hasard romanesque, et en contrepoint
les lettres d’amour de sa mère inconnue à son père insaisissable.
« Je reste insensible à tout
depuis la blessure sur ma naissance. Un véritable cataclysme émotif, ce
dimanche où j’ai appris la vérité sur mon père, lui le héros moi le pochard, et
sur ma mère, abandonnant la vie pour me l’offrir. Les joies, les peines, les colères me
sont étrangères, enfouies en moi sous la souffrance de leur trouble
absence ».
Roman de l’origine qu’il faut lire et
relire entre les lignes, en tirer mille fils, mille pistes, s’en jouer et les
déjouer comme dans une enquête criminelle, mais ici le cadavre est bien vivant.
Et comme dans la résistance en Corrèze, rien ne peut se jouer en solitaire, il
faut s’armer de solidarités et les payer comptant.
Bernard Thomasson croit en ses
personnages et en leurs raisons, comme en son temps Jean Renoir : « ce qui est terrible c’est que tout le monde a ses
raisons ». Point de jugement moral, mais la morale du roman,
c’est-à-dire son style, sa manière de croire dans le récit, de le prendre au
pied de la lettre, autrement dit au pied de la vérité, dans sa légèreté et ses
drames. La vérité découverte est troublante et éclairante, comme une lettre
clandestine.
« Chéri. Je m’angoisse pour toi.
Une certaine fébrilité devient perceptible en ville, ces derniers jours. Aucun évènement particulier à noter,
pourtant je sens qu’on parle beaucoup dans les magasins ; pas ouvertement
(tout le monde craint encore tout le monde) mais d’avantage qu’avant. J’entends
dire que la fin approche, que depuis Stalingrad le vent a tourné. Des bruits courent sur la
Résistance… ».
Fidélité au récit, et à ses enjeux,
comme chez Simenon, à son déroulé, de Brive à Berlin en passant par la Villa
Ben Pensata, à ses personnages, aux paysages qui leur font écho, aux troublants
éclats de ses révélations et de ses contradictions, Un été sans alcool est un roman dessiné à
la plume plongée dans l’encre de la clandestinité du roman familial, entre
résistance, silence, trahisons, vengeances, mensonges et saisissements, savoir
et saveur de la vérité romanesque. L’amour a des raisons que les raisons de
l’Histoire ignorent.
« Vous savez, il ne faut pas se
fier aux apparences. Retenez bien ce que je vous dis là. Ne croyez pas les
choses évidentes. Fouillez, cherchez, interrogez-vous. Même si un avis est
majoritaire, même si aucune voix ne discorde dans un discours collectif, ne
prenez jamais ce qui est dit pour argent comptant. La vérité se mérite. Il faut
du courage pour l’affronter ».
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/un-ete-sans-alcool-bernard-thomasson
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