lundi 24 novembre 2014

Eric Laurrent dans La Cause Littéraire





« (C’est pourquoi) il me semble que j’étais destiné, dans le fond, à l’adoption plutôt qu’à la génération. Il était dit que je n’allais pas donner la vie, mais que j’en sauverais une.
Je ne ferai donc pas souche, mais greffe ».

Berceau est le récit de cette greffe. L’adoption de Ziad ne sera pas simple, elle passera non sans mal à travers le filet du grand projet de réislamisation des sociétés arabes, par rejet des idéaux séculiers du monde occidental, lancé par les Frères musulmans, le « Printemps arabe » est aussi passé par le Maroc. Durant plus d’un an, l’auteur et sa compagne vont quotidiennement voir et accompagner à la vie leur enfant en devenir. Berceau est ce récit à prendre à la lettre, comme l’on prend à la lettre les romans de l’écrivain.

« Ayant donc compris que j’étais un homme de lettres, autrement dit que les mots exerçaient sur moi une puissance de séduction, Ziad s’est toujours fait fort de me parler, et cela très tôt. Les premiers temps, il n’était pas rare que, ce faisant, des bulles lui vinssent aux lèvres. Enfermeraient-elles des mots ? me demandais-je alors, penché au-dessus de son visage, la main placée en cornet autour du pavillon de l’oreille ».

Berceau est cette bulle qui s’élève à mesure qu’avance le récit. Une bulle vivante, vivifiante, transparente, troublante, touchante, souriante, effervescente. Une bulle de mots et de phrases qui témoigne tout autant de l’attente de l’adoption autorisée et définitive, que de sa transcription littéraire. La littérature l’emporte toujours ici, comme ailleurs, face à l’arbitraire ancien ou nouveau. Ce récit est le roman de l’enfant devenu, sous le regard et la plume du père-narrateur. L’enfant devenu, Ziad, ignore encore toute la foisonnante richesse du style de son père, cette phrase tissée d’éclats de nacre et d’or comme un lever de soleil sur l’Atlas. Cette grâce du savoir et de la saveur du mot qui en épouse un autre pour enfanter une phrase.

« Il est vrai que les fées se sont penchées sur son berceau : carnation soyeuse, au teint de caramel ; crâne d’une rotondité parfaite, de l’occiput jusqu’au bas du front ; grands yeux noirs aux longs cils curves et moirés ; lèvres charnues et mignardement ourlées – Ziad est sans conteste un enfant magnifique. Il est en outre extrêmement gracieux ».

Berceau est sans conteste un récit extrêmement gracieux, dans sa joie et sa gravité, béni par des fées attentives au destin de l’enfant devenu, de l’écrivain et de sa compagne, témoin d’un instant du temps raconté et de l’Histoire marocaine vécue. Récit qu’illumine le regard de l’enfant Ziad, éclair qui dilate l’attente et emballe les cœurs des parents devenus.

« C’est l’odeur du monde que je transporte avec moi, le parfum de l’ailleurs ».

On ne pouvait imaginer plus beau berceau pour l’enfant devenu, la langue française, terreau de cette greffe qui est en train de prendre vie.

Philippe Chauché 


 

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