vendredi 21 novembre 2014

Montaigne et Marie Le Jars de Gournay




« C’est alors que… – et là est le pouvoir du récit, ou le destin d’un Grand Homme – c’est alors qu’il découvre sur le guéridon la lettre de Marie Le Jars de Gournay. A 16 heures précisément, son cœur se met à battre à la volée. La lettre d’une jeune femme : Cher Maître, Michel est flatté, j’ai vingt-trois ans et j’ai tout lu de vous (Il y a une légère confusion orthographique entre “lu” et “bu”, Michel préfère y lire “bu”) ».
 
C’est alors que… c’est alors que la foudre frappe le moraliste. Un nouveau coup de foudre, d’une toute autre nature que celui provoqué par la rencontre avec Etienne de La Boétie, d’une nature plus charnelle. Marie de Gournay a lu et ne cesse de lire les Essais, Andréa Marot, projection romanesque de Claire Tencin, en sait beaucoup sur Montaigne, mais très peu de Marie, cette femme savante. Au hasard des rencontres, elle est saisie par l’histoire de cette fille par alliance et son Proumenoir de Monsieur de Montaigne, miroir où se déploie l’arc électrique de la passion amoureuse. Les Essais électrisent Marie de Gournay. Elle ne cessera de vouloir vérifier si le corps de Montaigne peut s’accorder à cette admiration, comme celui de l’amant de Bordeaux d’Andréa. Il y a de l’électricité romanesque dans l’air, et Claire Tencin va en quelques éclairs saisir ce qui s’est joué entre le Maître et son élève et ce qui se joue entre Andréa et son professeur. Quand j’admire, j’admire, quand j’écris, j’écris, quand j’aime, j’aime, le réel est toujours à prendre à la lettre et au sérieux.
 
« Cette jeune âme l’effleure comme la brise, l’emmène dans sa fantaisie, le délivre de lui-même, de cet objet sur lequel il s’est penché quotidiennement pendant presque vingt ans. Au fond, il attendait cette délivrance depuis la mort d’Etienne ».
 
Montaigne et Marie, question de phantasia, d’apparition, d’apparence, mais aussi de tempo libre. Marie de Gournay ne cessera sa vie durant de s’y accorder, et de vivre intensément l’indépendance absolue du corps et de l’âme, sous le vent léger et troublant des Essais qui ne cessera d’effleurer ses livres. Marie et Andréa, sœurs lettrées savent que la plus belle des conspirations est celle du trait de la pensée au galop du corps. L’une a passé sa vie à le vérifier, l’autre s’y emploiera le temps du roman. Montaigne enveloppé dans sa retraite, dans sa librairie, ne dira rien de cette fantaisie dans le château de Gournay, de cette victoire sur la mortde ces noces clandestines, suivant la destinée de ses Essais, les complétant, les perfectionnant jusqu’à sa mort, sans jamais pourtant oublier sa fille d’alliance.
 
« Ces trois mois au château de Gournay l’ont ragaillardi, c’est un fait. Il a cessé de songer à la mort. Sa douleur est devenue moins cruelle. Durant ces trois mois, Michel viendra et repartira. Le duo corrige inlassablement les Essais. En catimini, le Proumenoir de Michel de Montaigne s’invente dans l’esprit échauffé de Marie. Elle sait déjà qu’elle l’écrira pour lui ».
 
Aimer et ne pas l’écrire, est le roman gracieux de cet échauffement, de cette rencontre étourdissante, entre le moraliste, son élève, et Andréa Marot, dont le nom apparaît en lettres noires sur un panneau signalétique à quelques centaines de mètres du domaine de Montaigne, c’est sûr, il y a quatre siècles, ils se sont connus ici.
 
Philippe Chauché
 

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