samedi 14 mars 2015

Thinez dans La Cause Littéraire











« Avaler v. tr. Avaler le français, le russe, l’anglais, avaler le chinois, avaler le basque et le volapuk, le bambara, avaler le sanskrit, l’occitan, avaler le tamoul, l’ukrainien, le finnois… voir vomissement. Tu as avalé ta langue ? demandait Jean quand par timidité je ne répondais pas, ou par entêtement ».
 
Après 140 au carré, Marc-Emile Thinez s’invite à nouveau dans la collection Contraintes des Editions Louise Bottu, et propose son petit dictionnaire, parce que le dictionnaire est le plus beau des livres (1) : d'Algèbre – contrainte en arabe –, à Zup – c’est la zone –, en passant par Ecriture – parole de nanti –, Histoire – Donner du sens au temps –, Musique – ne dit rien d’autre qu’elle-même – ou encore, Réforme – hantise des vaches et de certains veaux – mais aussi SOI-MEME – renforcement d’un soi qui en a bien besoin – ou VOILE – grille qui dissimule le visage, ou la réalité, selon le point de vue.
L’écrivain joue avec bonheur du jeu et du je du dictionnaire, définition et applications, à chaque mot la sienne avec un fond commun, l’histoire de Jean. Jean, le père – dont le portrait s’affine, il apparaissait dans 140 au carré –, lecteur de l’Huma, amateur de grilles et de mots – de mots grillés dirait son éditeur –, et comme l’un attire l’autre, il ne cesse de se laisser entraîner dans cette aventure qui croise l’horizontal et le vertical – le dictionnaire est la Bible de Jean, l’ouvrier sans instruction. Le Verbe à l’origine de son monde (1).
 
« CHANGEMENT n.m. Eternel retour du même, l’emballage qui change pour mieux emballer. Jean ne comprend pas pourquoi :
a) les prix changent,
b) on invente de nouveaux objets,
c) on s’égare dans l’espace,
d) on apprend des langues étrangères,
et tous les soirs attaque une nouvelle grille de mots croisés ».
 
Marc-Emile Thinez a plus d’une définition et d’une application sous la main. Son dictionnaire de poche – à glisser dans la doublure de son veston, ou entre les pages d’un autre livre plus conséquent, plus ancien et plus épais – fourmille de mille petites trouvailles plus piquantes et réjouissantes les unes que les autres – la mémoire ce frein moral à l’oubli, ou encore, distinction cette tentative désespérée de se faire remarquer par sa mère, et enfin, individu tout être distingué y compris pour son côté louche – avec à chaque fois en embuscade, Jean, le père communiste cruciverbiste, héros du hasard objectif des140 tweets qui ici se mêle de beaucoup de choses ou pour le moins se voit mêlé à de nombreuses définitions – mêler son écriture à celle de Jean Thinez. A les rendre indiscernables (2). Comme son mentor Thinez, Jean, le père, porte des mots à sa boutonnière, comme un brin de muguet qui annonce toujours les matins odorants, c’est ainsi qu’ils chantent.
 
« HOROSCOPE n.m. L’horoscope dans l’Huma, à quoi bon. Les lendemains sont sans mystère, ils chantent et on y rase gratis. Jean m’envoie chez le coiffeur une fois par semaine, courts de partout et bien dégagé derrière les oreilles ! »
Un dictionnaire est tout sauf une contrainte, c’est un plaisir, et Marc-Emile Thinez le prouve à chaque mot choisi pour son Dictionnaire de rien du tout et son réjouissant Dictionnaire de rien du tout – rien est un petit mot, certainement pas un mot insignifiant –, par ses définitions qui s’inspirent parfois des facéties de l’Oulipo, il se veut aussi moraliste – la paix est la continuation de la guerre par d’autres moyens – et romancier – la romance de Jean, tout à rebours, il défait le jour ses rêves nocturnes. Finalement tout amateur de dictionnaire, tout académicien, qui se penche sur la légende des mots, flirte avec celle des sens, et Marc-Emile Thinez les a tous en éveil pour notre plus grande gourmandise littéraire.
 
Philippe Chauché
 
(1) L’auteur à son éditeur
(2) 140 au carré


http://www.lacauselitteraire.fr/dictionnaire-de-trois-fois-rien-suivi-d-un-dictionnaire-de-rien-du-tout-marc-emile-thinez

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