« Je conçois de le tuer, lui. Tuer celui qu’il est quand il se fait sombre et cassant, celui qui m’inquiète trop : quand il n’est plus en contact avec la vie, que ça le rend hostile. J’ai des sursauts de haine, mes doigts glissent le long de mes hanches et râpent ; ça colle et ça claque. J’en ai marre de ces mains qui sont des fontaines ».
Mauvaise passe est un roman électrique, violent, tremblant, hurlant. Un petit livre écrit au scalpel qui déchire le monde et l’art littéraire, et que pourrait saluer Georges Bataille. Mauvaise passe, comme on le dirait d’un corps marchandé, d’un corps qui se livre aux déchaînements des hommes – Je nettoie les plaies que la nuit a laissées sur mes côtes, et regarde mes seins, qui ont bleui–, ou d’un navire qui se risque dans un chenal de tous les dangers. Mauvaise passe est un roman qui sent l’alcool, le tabac, et le sperme, un roman qui se livre dans l’errance, et qui claque comme une paire de gifles, des coups et des mots. Un roman souffrant, et qui s’offre, comme le revendique la narratrice, un roman échevelé, glacé et glacial.
« Ma parole est déréglée. Je n’arrive pas à m’arrêter. Je ne parle plus avec les gens, je parle seule, mais jamais dans le vide, c’est un déferlement. Je ne sais pas d’où vient tout ce flot, ces propos. J’explique : “je parle depuis peu” et justifie ma frénésie, me rattrape. Ça intimide drôlement ».
Mauvaise passe est un déferlement romanesque aux phrases rabotées, resserrées, incandescentes, aux verbes qui frappent, aux mots qui tremblent, un roman qui touche là où ça blesse, là où ça saigne. Mauvaise passe est un récit à la dérive, un récif où se brisent les vagues du roman, entre les nuits et les matins blêmes aux draps toujours froissés. Roman déréglé et déchiré, comme le corps de cette jeune femme, traversé de part en part – Je me dis qu’il est en train de me tuer : il est en train de me tuer. Entre deux rues, deux chambres, deux villes, la narratrice aux yeux perdus garde la mémoire de ses rencontres éphémères, de ses liaisons dangereuses, qu’elle tente parfois d’apprivoiser, comme l’on apprivoise une maladie.
« J’avais décidé de ne plus aimer et je suis venue en Suède. J’avais longtemps cherché pourtant, imaginé. Je n’avais rien vu, rien vécu. Je pensais que je ne vivrais rien, ne verrais rien ».
Clémentine Haenel réussit un troublant premier roman, un livre qui ne vous laisse pas en paix, qui vous hante, par son style, sa manière de faire vivre cette romance échevelée, sa matière, toutes griffes dehors, poings fermés, et visage pâle qui va s’ouvrir sur une éclaircie, comme un lever de soleil après une nuit glaciale et terrifiante.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/mauvaise-passe-clementine-haenel-par-philippe-chauche
N'est-il point trop douloureux de passer de Melville (certes tamisé par les pitres de L'Infini, qui semblent obsédés par ce génial écrivain) et ce navet haenélien ?
RépondreSupprimerCourage !
Une vraie critique ici : http://www.juanasensio.com/archive/2018/09/18/clementine-haenel-aussi-nulle-que-yannick-haenel-mauvaise-passe.html