samedi 1 septembre 2018

Philippe Annocque dans La Cause Littéraire




« Le décor est un écran bleu et les corps sont à distance, le sien assis à son bureau où il est supposé écrire, celui de Coline sans doute allongé sur son lit son smartphone à la main. Est-elle de dos ? sur le ventre ? A vrai dire, il n’en sait rien, il ne la voit pas. Mais il l’imagine sur le ventre, oui. Pourquoi il n’en sait rien mais il l’imagine sur le ventre. Si ça se trouve il a tout faux ».
 
Seule la nuit tombe dans ses bras est un roman d’amour virtuel, une histoire sensuelle et sans suite, sexuelle, entre les lignes de Facebook, dans les tchats, SMS et mails, les terrains complices et anonymes d’Herbert et Coline. Une  histoire d’amour comme une vieille chanson de variété, avec un refrain que fredonne Herbert et que reprend parfois Coline. Une chanson qui devient un roman, un roman qui s’écrit sous nos yeux et dont l’auteur s’amuse. Seule la nuit tombe dans ses bras se nourrit de courts échanges clandestins sur le net, comme au tennis, les deux amoureux virtuels montent au filet, frappent la balle, les phrases volent, cinglent, s’élèvent, rasent les lignes blanches, rebondissent, des phrases ornées de sourires préfabriqués par le net, ces petits icones qui s’offrent d’un clic, et de photos postées, et puis elle a retiré le haut, comme une signature, et qui font virevolter la fiction.
 
« Il se faisait une idée de l’amour, il était en train de se fabriquer une nouvelle idée de l’amour, une idée différente de son amour pour Marie, et Coline venait incarner cette idée. C’est vrai qu’il savait s’en faire, des idées. Il était fort pour ça ».
 
Seule la nuit tombe dans ses bras est une chasse au trésor, le trésor d’amour d’Herbert et celui très charnel de Coline, bien installés dans leur vie officielle, femme, homme, enfants, les deux enseignent, et lui écrit des romans sous influence. Comme un roman ou une chanson, Philippe Annocque invente la biographie et la bibliographie d’Herbert Kahn : de Centrifuge à Out en passant par Le Conflit et Affleurements des strates aux abords d’un rivage escarpé, des doubles de Seule la nuit tombe dans ses bras. Les deux amoureux numériques rêvent d’une double vie, de doubler leur vie comme on le dit au cinéma, ou comme le chante Christophe. Comme dans leur vie d’avant, dans cette rencontre aléatoire, il y aura des sautes d’humeur, des silences, des joies, des attentes, mais aussi des reproches, des absences, des commentaires et des questions. Mais tout va très vite, et ce sont les mots échangés qui donnent de la voix au roman, la voix vient après le tchat, sans que jamais les corps ne se mêlent, ils ne se tomberont jamais dans les bras. Tout se joue à distance, par écrans interposés.
 
« Des baisers, il lui en envoyait ; il en trouvait sur Internet, en gif animés, les lui envoyait le soir, quand elle était déjà couchée – elle se couchait plus tôt, elle se levait plus tôt que lui ; ainsi elle les trouvait à son réveil, dans la petite fenêtre du tchat ».
 
Philippe Annocque réussit là un étrange roman connecté, un roman d’amour impossible, très sensuel et très sexuel : C’est trop, là. Il y a trop de sexe. Si jamais ce livre est publié un jour, le lecteur va faire une overdose. Un roman, qui comme l’histoire de Coline et Herbert est un éternel recommencement porté par le regard d’un lecteur nouveau. Une fois refermé, ce livre bleu s’invite à nouveau, comme une chanson ancienne, et vous fredonnez ce qu’il vous inspire. Les romans qui font chanter sont si rares.
 
Philippe Chauché
 

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