« Délaissant les bancs d’école, je voulais m’exercer dans tout ce que j’avais lu, la fantaisie pleine de batailles, d’enchantements, de rêveries, d’amours et de défis… J’appris rapidement que les choix de vie produisent des effets insoupçonnés qui engendrent des conséquences imprévisibles. Et au mois de mars, pris dans une tempête, je suis poussé par des vents contraires à 1000 kilomètres au sud de Paris, échouant à Barcelone, dans le quartier de Sant Antoni ».
Barcelone s’ouvre à l’écrivain comme un roman de tous les dangers et de toutes joies, et il va y livrer quelques batailles pleines de fantaisies. Ce mot convient merveilleusement bien à la cité de Gaudi, de Picasso, de Bataille, de Breton, mais aussi de Genet, d’Orwell, et de Simone Weil les armes à la main. La Ville des prodiges (1) a traversé les siècles et fomenté des révoltes, et son Histoire tellurique et ses histoires palpitantes irriguent le petit livre de Mathieu David. La guerre n’est jamais très loin, et la ville a toujours un temps d’avance, sa géographie enchantée y est pour beaucoup.
Connaissez-vous une autre ville qui ait donné le nom de l’écrivain armé du POUM à l’une de ses rues ? Connaissez-vous une ville qui ait si bien su danser avec les peintres, les écrivains, les musiciens, les révolutionnaires de la CNT/AIT, les filles de joie, et qui les célèbre. Elle en perpétue la mémoire vive dans le Barrio Chino, sur les Ramblas, dans les bodegas au Palau de la Musica, mais aussi, merveilleux paradoxe, dans les tours de la Sagrada Familia. Barcelone s’est tant de fois enflammée pour sa liberté, que des fumerolles se posent encore sur les épaules de ceux qui la traversent, et qui savent s’y perdre.
« Barcelone vibrait tout entière. L’effervescence ne semblait jamais s’apaiser. Chaque quartier était un port avec son atmosphère, ses habitants, ses bars, ses places et ses nuits. Dans cette ambiance débridée, je fis la connaissance de plusieurs cavalières mémorables ».
Barcelone brûle est le roman de cette vibration, même si le beau mot de roman ne figure pas sur la couverture de ce petit livre délectable. L’écrivain y partage son temps entre des amis, quelques aventurières, des livres et la quotidienne fréquentation des rues, des places, des quartiers, des cafés qui en disent beaucoup sur ce qui s’est écrit et sur ce qui se vit là. L’histoire de la ville révoltée lui saute aux yeux à chaque coin de rue.
Là, la révolte des moissonneurs en 1640, plus loin, les barricades qui se dressent en juillet 1909 : « On dansa dans les rues avec les squelettes exhumés des prêtres et des nonnes en lambeaux ». Ici Picasso qui retrouve Barcelone en 1899, la peinture va s’enflammer : « Il accordait sa ligne à l’onde des corps. Infatigable, insatiable, il se préparait à embraser le 20esiècle par le dessous : scènes populaires, miséreux, mendiants, putains, artistes sans le sou, cafés-concerts, bars malfamés ». Mathieu David se glisse aussi dans les pas de Georges Bataille et les éclats tranchants du Bleu du ciel –Rêve de ciel étoilé sous les pieds. Et enfin la guerre, la révolte éclate contre « Cet absurde complot », avec à l’avant-garde les anarchistes de la CNT/AIT, c’est « un soleil radieux de joie partagée », la ville est en feu, et l’on y croise Georges Orwell, Buenaventura Durruti et Simone Weil. La ville est en flammes, et le roman lui aussi s’enflamme. La nuit est propice aux incendies qui irradient les corps et les âmes, le narrateur aventurier est au rendez-vous, tirant lui aussi ce constat que tire Guy Debord : pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre.
« Les révolutions surgissent comme la foudre, le temps vécu dans l’intensité change la vie, une heure équivaut à une semaine, et les semaines à des mois, voire des années. Puis elles se retirent comme la marée ».
Mathieu David est un heureux vivant, ses chroniques, que nous persistons à penser romanesques, vibrent, chantent, et épousent les révoltes passées, présentes, et celles qui s’annoncent, sans perdre sa liberté libre, comme l’écrivait un poète coloriste et aventurier, et qui se dit chaque matin : nous partons, le cerveau plein de flamme…
(1) La Ville des prodiges, Eduardo Mendoza, Le Seuil, 1988, traduit par Olivier Rolin
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/barcelone-brule-mathieu-david-par-philippe-chauche
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