samedi 17 novembre 2018

Pascal Boulanger dans La Cause Littéraire







« Le chant sera pur élan du cœur
Il détache une page il la plie
Les gris sont bleus
Il renonce au repas sanglant
La goutte d’encre est la nuit
Il écrit : la poésie doit être négation de la négation… »
(Le bel aujourd’hui)
 
Trame est une anthologie, un mot bienvenu qui s’appuie sur une fleur grecque, anthoset que l’on pourrait associer à anthèse, l’épanouissement de la fleur. Une anthologie qui n’a jamais aussi radicalement porté son nom : les épanouissements de la lettre et donc de la poésie libre et vivante.
 
Les écritures de Pascal Boulanger sont placées sous de vibrantes protections : Nietzsche : Le ciel est doux, il est comme un tapis déroulé à nos pieds ; Marcelin Pleynet : Les livres sont sur le bureau / au pied du lit / sur l’herbe mauve / les guirlandes mais aussi Baudelaire, Isidore Ducasse : les vagues de feu sur lesquelles danse la pensée ; Rimbaud : le temps disparaît dans le présent pur et William Faulkner : Je sais, un monde se défait.
 
Les poésies rassemblées dans Trame, cette texture, sont des mots filés, et des phrases entrecroisées, tissées, et qui laissent passer la lumière divine, comme un vitrail de Matisse. Trame livre un combat, l’écrivain s’arme de sa langue, combat contre la chute, vise l’effondrement, le vulgaire (qui) naît à chaque instant, la dévastation du monde et de la pensée. Mais Trame n’est pas une plainte, c’est une lutte, mot à mot, verbe à verbe, terre à terre, sous les meilleurs auspices, une lutte et une joie, une résurrection permanente face à la mer.
 
Trame et verticalité sur ce vitrail de l'église saint-Matthieu, à Bures-sur-Yvette (Wikipédia)
 
 
« J’appelle poésie cette intrigue de l’infini
où je me fais auteur de ce que je vois, de ce que j’entends.
Musique et pensée.
Poignée d’images dans la brume.
Vallées qui serpentent.
Pourquoi faudrait-il que la mort soit la religion absolue ?
L’œil habillé d’une paupière n’est pas dans la tombe.
D’ailleurs, placé en ce lieu de parole qui fait parole,
Rien ne meurt qui a commencé ».
(L’émotion L’émeute)
 
Trame relie plus de trente ans d’écritures, plus de trente ans d’attentions au monde, au bleu du ciel – Huit fenêtres s’ouvrent dans un fouillis de verdure et laissent voir le bleu du ciel –, au silence, à la nuit, à l’exil intérieur, à l’amour – Quand je tombe dans ses bras à l’aube du premier baiser–, au Livre, à la Lettre – Le feu éclaire le récit en hébreu lumière veut dire secret –, au Cantique des cantiques, à la nature – Les montagnes deviennent nuages au-dessus des prairies.
 
Pascal Boulanger dialogue avec le réel, avec l’histoire qui s’écrit sous ses yeux, et sous les nôtres, avec les tragédies, les joies intenses, les regards, les attentions, les faiblesses, les illusions et les trahisons, les ombres rassurantes des écrivains disparus qui illuminent la littérature, mais point de nostalgie chez l’écrivain, une simple nécessité de vivre sa liberté les yeux ouverts. Mêmes attentions lorsqu’il dédie des poèmes à ses deux filles – J’écoute vos paroles en sachant qu’une voix quand elle chante, chante toujours un amour et sa perte et touche un instant le ciel, touche un instant l’abîme –, un père qui écoute, qui regarde, qui se tait, est un père qui écrit.
 
« Ce soir, dans cette nouvelle maison qui m’est étrangère – Dieppe, Varengeville, Sotteville, Veules-les-Roses – ne sont plus des villes mais de merveilleuses épiphanies qui s’invitent dans mes souvenirs.
Avec vous, je redescends les marches pour accéder à la mer.
Avec vous, je revois le ciel immense et rond comme un galet.
Avec vous, je profite, à nouveau, des vitraux bleus de Braque dans l’église au-dessus de la falaise.
Avec vous, allongé sur la douce paresse des herbes et des fleurs, je relis un album qui enchante ».
(Un ciel ouvert en toute saison)
 
Pascal Boulanger est un écrivain au long cours, un corsaire, qui a toujours un livre ouvert sur sa table d’orientation, un jongleur, un magicien qui dévoile ce que le monde voile. Le style de Pascal Boulanger a la souplesse du mistral, il en a sa force, sa violence, un vent qui donne vie à la vie – c’est que le génie ne saurait vivre dans un air sec et un ciel pur, c’est-à-dire sans échanges rapides, sans la possibilité de se ravitailler continuellement en énergie par énormes quantités (1) – un vent qui vivifie cœur et âme, et éparpille sur son passage mille graines de nouveaux livres à venir.
 
Philippe Chauché
 
(1) Friedrich Nietzche, Ecce Homo, trad. Alexandre Vialatte, 10-18, 1988


http://www.lacauselitteraire.fr/trame-anthologie-1991-2018-suivie-de-l-amour-la-pascal-boulanger-par-philippe-chauche

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