Avertissement : Recension écrite en décembre dernier, depuis tous les livres de l’écrivain ont été rappelés par ses éditeurs. Gabriel Matzneff a quitté la France pour l’Italie et la justice est saisie.
« Deux titres mélancoliques : Séraphin, c’est la fin ! – Mais la musique soudain s’est tue ; puis un titre triomphant, dionysiaque : La Jeune Moabite. Entre les deux, Un diable dans le bénitier, et Les Eaux du Léthé.
Ensemble, ces cinq titres expriment ce qu’aura été ma vie » (L’Amante de l’Arsenal).
L’Amante de l’Arsenal est le dernier opus des Journaux intimes de Gabriel Matzneff, des journaux qu’il publie depuis 1976, et qui recouvrent et découvrent sa vie, ses aventures, ses passions, ses joies et ses amours composés et décomposés.
L’écrivain voyageur, Paris, Rome, Nice, Naples (« J’aime ce vol Nice-Naples car on y survole la mer et, en mai, avec le soleil qui s’y reflète, celle-ci est spécialement chatoyante, piquetée d’étoiles »), le lettré amateurs de mots rares, le dandy, le chrétien orthodoxe (« 19h40, à la cathédrale de la Sainte-Trinité, après que l’évêque Nestor a tracé avec l’huile sainte le signe de la croix sur mon front et celui d’Anastasia »), l’amoureux aux passions croisées (« Mes amours vont bien. Pour le reste je vis au jour le jour »), poursuit cette expérience littéraire, cette mise à nu, et ce dévoilement.
Calamity Gab, comme il aime à se baptiser, gambade dans Paris, se pose pour rêver ou séduire aux terrasses de cafés, s’invite à de belles tables de restaurants, écrit ses chroniques pour Le Point, rencontre ses éditeurs, corrige les tapuscrits de ses prochains livres, et se glisse sous les draps et dans les bras de ses amoureuses. Et comme le style fait l’homme, c’est une nouvelle fois un journal fort bien stylé que publie Gallimard, l’un de ses fidèles éditeurs. Gabriel Matzneff ne craint rien tant que de prendre du poids et de la graisse, alors il soumet ses phrases à un régime semblable à celui qu’il s’impose, elles sont effilées et tendues comme des quadriceps.
« Je viens de fleurir la tombe de Cioran. Seul. L’an dernier, Anne M. m’avait accompagné au cimetière de Montparnasse, mais cette année je n’ai pas osé demander à qui que ce fût d’être auprès de moi ».
L’écrivain heureux ne manque point de fidélités électives, ses éditeurs et ses écrivains qui l’accompagnent depuis des années – Byron, Cioran, Cicéron, Montherlant, Joseph de Maistre, Schopenhauer, Voltaire –, d’éclats amoureux qui scintillent dans son journal – Vous débordez de mes lèvres, semper laus tuum –, d’instants partagés ou chapardés au temps, qu’ils soient heureux ou ténébreux, traversés par des orages et des trahisons. Les orages et la foudre, l’écrivain les a affrontés à plus d’une reprise, en octobre dernier, il est pris à parti par des militants de Paris Nationaliste suivis par d’autres d’extrême gauche, lors d’une soirée qui lui est consacrée dans un restaurant parisien par la revue RasKar Kapac. Et tout porte à croire qu’en ce début d’année, il ne sera pas à l’abri de nouveaux violents coups de vent (qui le sème récolte la tempête peut-on lire ici ou là) avec la publication annoncée chez Grasset du Consentement, de Vanessa Springora, jeune amoureuse baptisée V. dans son journal, où Gabriel Matzneff est notamment qualifié de prédateur, et l’auteur veut, écrit-elle, « prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre ». Nous en tenant à la littérature, nous la laisserons faire son travail, qui est parfois un travail du deuil.
Philippe Chauché
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