« J’ai traversé ma vie sans rien trouver qui retienne mon attention. Sans doute ai-je été un piètre observateur. Je me contentais de donner le change. Je ne peux en vouloir à personne. Certaines existences sont de somptueux ratages. D’autres, d’éblouissantes réussites. Je suis demeuré dans une honnête moyenne ».
Roland Jaccard a de qui tenir, il a forgé ses pensées et son style en lisant Henri-Frédéric Amiel (1), Cioran, Karl Kraus, Schopenhauer, et quelques autres penseurs piquants, pétillants et gracieusement désespérés, ses élus de la mélancolie. L’écrivain qui fut longtemps un grand éditeur (2), livre quelques secrets, quelques scandales, des éclats et des éclairs de sa vie amoureuse. Il aurait pu inscrire en sous-titre de ce nouveau petit livre « Les filles s’enfuient plus vite que les livres », même si en le lisant, on découvre que le plus souvent, c’est lui qui prend la fuite, qui se dérobe, question de sécurité assure-t-il.
Le nihiliste racé et stylé dresse la liste des raisons de l’oubli de ces jeunes femmes qui ont un temps occupé sa vie : Rachel qui se jette sous un train, Tâm qui voulait lancer sa Mini Cooper dans un précipice, mais qui a finalement misé, à raison, sur un salon de beauté, Monique, l’anorexique ou encore Naomi qui le décrit comme le pire des salauds. Il s’amuse également à faire la liste des ruptures les plus insolites, entre une qui aimait le rap et faisait des fautes d’orthographe, et une autre qui n’avait rien compris à la grandeur tragique du western (3), Roland Jaccard qui ne manque jamais d’humour, comme ses amis Cioran et Clément Rosset, ne prend pas tout cela très sérieux.
« D’accord avec Jean-Pierre Georges quand il écrit :
1. N’attends rien des autres.
2. N’attends rien de toi.
3. N’attends rien du tout.
Supprime le verbe ‘attendre’. Supprime l’idée. Et au besoin supprime-toi ».
Confession d’un gentil garçon est le livret de famille du dynamiteur de la pensée contemporaine, d’un flibustier qui a préféré fréquenter la piscine Deligny avec M. le Maudit (réfugié en Italie), au grand large et aux Mers du Sud. Roland Jaccard a l’art du service coupé et de la frappe revers littéraire, il écrit vite et bref en restant ferme sur ses appuis, ses principes et ses amitiés. Ce petit livre piquant se déguste, comme on le ferait d’un whisky très tourbé qui épouse longtemps votre palais. Les pensées de Roland Jaccard ont la même force, la même rondeur, la même puissance, c’est le fumet de la pensée, où affleurent des parfums de nostalgie et de nihilisme, que l’écrivain hume depuis qu’il sait écrire, et bien écrire.
Philippe Chauché
(1) Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel, Serge Safran.
(2) Il fonda et dirigea la collection « Perspective critiques » au PUF, où il publia notamment Schopenhauer et les années folles de la philosophie de Rüdiger Safranski.
(3) Pour s’en convaincre, si par hasard on a besoin d’en être convaincu, il faut lire John Wayne n’est pas mort, Pierre-Guillaume de Roux. Roland Jaccard a notamment publié Journal d’un oisif, Cioran et Compagnie, Sexe et Sarcasmes (PUF), Station terminale (Serge Safran), et plus récemment Penseurs et Tueurs (Pierre Guillaume de Roux).
https://www.lacauselitteraire.fr/confession-d-un-gentil-garcon-roland-jaccard-par-philippe-chauche
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