lundi 7 juillet 2008

Un Palais vers les Etoiles

" Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvai dans une forêt obscure / car la voie droite était perdue. Ah dire ce qu'elle était une chose dure / cette forêt féroce et âpre et forte / qui ranime la peur dans la pensée ! Elle est si amère que mort l'est à peine plus ; / mais pour parler du bien que j'y trouvai, je dirai des autres choses que j'y ai vues.../ Qui pourrait jamais, même sans rimes, / redire à plein le sang et les plaies / que je vis alors, même en répétant sont récit ? / Certes toute langue y échouerait / car notre discours et notre pensée / pour tant saisir ont peu d'espace... / Il est un lieu là-bas, loin de Belzébuth, aussi long que s'étend cette grotte, / qu'on reconnaît non par la vue mais par le son / qu'un petit ruisseau qui descend là / par le trou d'un rocher, qu'il a rongé / dans son cours qu'il déroule, en pente douce. / Mon guide et moi par ce chemin caché / nous entrâmes, pour revenir au monde clair ; / et sans nous soucier de prendre aucun repos, / nous montâmes, lui premier, moi second, / si bien qu'enfin je vis les choses belles / que le ciel porte, par un pertuis rond ; / Et par là nous sortîmes, à revoir les étoiles. " (1)

" La Divine Comédie est un projet impossible, c'est clair. La grandeur de ce livre excède le littéraire et, en terme de théâtre, elle le fait tourner à vide. Mais c'est alors qu'à travers l'impossible, je peux atteindre tous les possibles. Oui, tous les possibles peuvent prendre corps et m'offrir une entière liberté dans la forme sensible de l'erreur " ché la diritta via era smarrita ". Mais l'erreur tire sa force sans la loi n'a pas de forme mais seulement intensité et durée. Cette limite est, aujourd'hui, La Divine Comédie. " (2)

On pouvait craindre qu'il ne croit en l'Enfer, on pouvait craindre le pire, les diableries et autres fumisteries macabres, on pouvait craindre qu'en oubliant la lettre, il ne choisisse l'imaginaire de mort qui aujourd'hui a colonisé la pensée et les corps. Mais l'italien est trop nourri des étoiles du Paradis pour miser sur ces sornettes, il dit les corps des damnés qui roulent comme tant de vagues multicolores sur la scène de la Cour d'Honneur du Palais, il dit la chute et son évidente résurrection, il dit la mémoire de ceux qui hier encore traversaient d'autres scènes dans d'autres villes d'autres mondes.

Je suis Romeo Castellucci dit-il, et des fauves vont l'attaquer, risque du théâtre, théâtre du risque. Je suis cette autre flamme lumineuse, acrobate transparent qui escalade le mur du Palais, papillon de vie qui se colle à la pierre, vers Dieu, qui en douterait, vers le Paradis pourquoi penser le contraire.

Je suis ces âmes perdues que le théâtre va sauver, je suis cet enfant rieur qui gifle le diable, je suis ce corps de piano qui flambe et la musique se lève entre les murs gris et blancs. Je suis ce cheval blanc, cette voile qui embrasse les âmes attentives, je suis ces éclats, ces envolées, ces chutes et ces résurrections.

Je suis Warhol qui tombe et se relève alors qu'explosent des écrans de télévision, j'invente une autre résurrection, je suis ces anonymes et ces porteurs d'acte, debout, vibrants, luttant contre la maladie de la mort et ses effets spectaculaires, je suis au centre de la terre, au centre du Palais, dans la Curie du verbe.

Les étoiles m'attendent, je suis patient, mon cheval blanc m'entraîne, mes martinets me disent le chemin qu'il me faudra emprunter pour les embrasser.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Dante / La Divine Comédie / L'Enfer / Inferno / traduc. Jacqueline Risset / GF Flammarion

(2) Romé Castellucci / J'ai quelque chose à dire / Festival d'Avignon 2008 /


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