samedi 24 juillet 2010

Elle Seule



"... Dona Prouhèze - C'est l'amour qui refuse à jamais de sortir de cette éternelle liberté dont je suis la captive !
Le Vice-Roi - Mais que à quoi sert cet amour avare et stérile où il n'y a rien pour moi ?
Dona Prouhèze - Ne me demande pas à quoi il sert, je ne sais, heureuse créature, c'est assez pour moi que je lui serve !
Le Vice - Roi - Prouhèze, là où tu es, entends ce cri désespéré que depuis dix ans je n'ai cessé d'élever vers toi !
Dona Prouhèze - Je l'entends, mais comment faire pour répondre autrement que par cet accroissement de l'éternelle lumière sans aucun son dans le coeur de cette subjuguée ?
Comment faire pour parler quand je suis captive ?
Comment promettre comme s'il y avait encore en moi quelque chose encore qui m'appartient ?
Ce que veut Celui qui me possède c'est cela seulement que je veux, ce que veut Celui-là en qui je suis anéantie c'est en cela que tu as à faire de me retrouver !
N'accuse que toi-même, Rodrigue ! ce qu'aucune femme n'était capable de fournir pourquoi me l'avoir demandé ?
Pourquoi avoir fixé sur mon âme ces deux yeux dévorateurs ? ce qu'ils me demandaient j'ai essayé de l'avoir pour te le donner !
Et maintenant pourquoi m'en vouloir parce que je ne sais plus promettre mais seulement donner et que la vision et le don ne font plus avec que cet unique éclair ? ... " (1)

Elle est là face à lui, dans le Jardin de la rue de Mons (2). Face à lui dans la douceur de ce matin d'été, où pense-t-il, tout devrait être permis, la grâce par exemple. Et il s'agit de cela, d'une immersion dans la grâce, et par la grâce. D'une présence tellurique, d'une voix, d'un corps emporté et qui porte les phrases sublimes de Claudel. Elle est là debout, le livre à la main, le même qu'il ouvre à son tour dans la nuit des doutes, asthmatiques de la poésie cela n'est pas pour vous, réducteurs de la pensée en mouvement passez votre chemin, néo gauchistes avachis et débraillés vous n'êtes pas les biens venus, cela s'adresse comme le disait très justement Cézanne à dix personnes, pas plus. Voilà le verbe mouvement, voilà le corps, le visage poème, tout le reste n'est que mise en scène du vide, ici c'est le plein, de beauté, d'envolées de la langue, d'ondes sonores bénies, de magie blanche, d'éclats de diamant offerts.
Je me souviens d'Elle Seule.



à suivre

Philippe Chauché

(1) Le Soulier de Satin / Troisième journée / Scène XIII / Paul Claudel / Théâtre II / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard
(2) En souvenir d'Alain Crombeque / Extraits du Soulier de Satin de Paul Claudel / Valérie Dréville / Vendredi 23 juillet / 11 heures / Festival d'Avignon 2010 / France Culture

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