dimanche 4 juillet 2010
Martha
" Dans le milieu de la musique classique, elle est Martha, simplement, et tout le monde sait de qui il s'agit. On la désigne par son seul prénom, comme c'est l'usage pour les déesses, les enfants, les religieuses et les filles de joie. " (1)
Il y a des années, beaucoup d'années, lorsqu'il l'écouta pour la première fois, il n'eut qu'une envie, la rencontrer, mais il ne faut jamais chercher à rencontrer les déesses, mais se laisser porter par elles, aimer parfois, et s'en contenter, le contentement est la signature d'un Instant de la Joie.
Il n'a cessé de l'écouter, il ne cesse de l'écouter, comme il ne cesse d'écouter Glenn Gould et Keith Jarrett, trois artistes uniques de l'apparition et de la disparition.
Martha, la vitesse, l'énergie, la force, les couleurs, les nuances. Martha, la révolte et la passion, les passions et les pianos. Martha, étoile filante de la musique, astéroïde magnétique et tellurique.
La musique est parfois cet art cabalistique rare d'interpréter une partition, un texte premier, et de lui donner une autre vie, d'autres résonances, écoutez, par exemple la Toccata en ut mineur de Johann Sebastien Bach (2), cela saute tant aux yeux qu'à l'ouïe, cela passe par la parole et le corps, cela vous envahie, vous saisit, vous retourne, vous apprenez enfin à écouter et à mettre en vibration vos cinq sens, comme vous devriez le faire en amour, si amour il y a.
" Faire monter la pression autour d'elle permet probablement à la pianiste, par un curieux phénomène de compensation atmosphérique, de faire baisser le mercure de son baromètre intérieur. Une fois que tout le monde est épuisé, déboussolé ou angoissé à l'idée qu'elle va peut-être ne pas émettre un son, elle promène ses doigts le plus naturellement du monde, enfin libérée d'un poids. D'une manière ou d'une autre, il faut payer le prix fort pour l'entendre, mais n'y voyons là nulle préméditation. "(1)
" Il faut payer le prix fort ", pour voir et entendre Martha, comme il fallait d'ailleurs payer le prix fort pour croiser Glenn Gould réfugié dans sa Tour de Bach. Rien ne plus normal à l'évidence, les grands artistes savent aussi être des grands absents, certains humanoïdes prennent cela pour des caprices de "star", les étoiles comme les déesses ne font pas de caprices, elles brillent, où et si elles le désirent, mais les aveugles n'y voient goutte c'est leur condition et leur malheur.
" La musique seule sauve ", cette phrase dit-il, revient souvent sur cet écritoire. Une façon d'être au monde, une manière d'embrasser une déesse à la bonne distance, une façon de s'accorder à ses doutes les plus profonds, une manière d'être Bach, Mozart, Scarlatti et quelques autres le temps d'un retrait méditatif, c'est pense-t-il, mes façons d'échapper à la vulgarité dominante. " La musique seule sauve " est un constat mille fois vérifié sur le motif.
" Elle ne " jouait " pas Bach, elle faisait se lever le soleil sur le monde. Mais cette clarté, qui illuminait tout, l'aveuglait et lui brûlait les doigts. Son esprit tourmenté et ses nerfs fragiles formaient une éclipse, dont l'obscurité bienfaisante semblait la rassurer. " (1)
" Pour tous les grands esprits sensibles, l'ennui est ce désagréable " calme plat " de l'âme, qui précède l'heureuse navigation et les vents joyeux : il faut qu'ils le supportent ", la phrase de Nietzsche semble avoir été écrite pour elle. " (1)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Martha Argerich / L'enfant et les sortilèges / Olivier Bellamy / Buchet Chastel
(2) Johann Sebastien Bach / Toccata BWV 911 - Parita BWV 826 - Suite Anglaise N BWV 807 / Martha Argerich / Deutsche Grammophon / 1980
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