jeudi 24 novembre 2011

Les Surprises de Lamalattie



" Depuis quelques temps, je me sentais patraque. A vrai dire, rien de précis, une sorte de flottement, un ramollissement indéterminé. Dans la rue, mon regard continuait à se porter sur des femmes, machinalement. Après tout, regarder les femmes, c'est une chose à faire en marchant. C'est là que j'ai commencé à me poser des questions. Autrefois, je trouvais très plaisant d'observer leurs petits mouvements souples. En particulier, j'appréciais beaucoup cette alternance cadencée du plissement des fessiers et de la poussée des trochanters. Mais, depuis quelques temps, je ne les trouvais plus très bandantes, les piétonnes. Ça m'a fait réfléchir. Et j'ai pris rendez-vous avec le docteur Konstantinopoulos. " (1)

Il y a quelques semaines, j'ignorais tout de Pierre Lamalattie, précise-t-il, et puis lisant un billet affûté du seul philosophe balnéaire qui mérite attention, Frédéric Schiffter, note-t-il, dont l'adresse apparaît dans un coin de cet écritoire, lisant disais-je ce billet, j'ai échangé un billet et deux piécettes contre le livre cité par le pourfendeur de Proudhon, cet idéologue des basses oeuvres, qui a dans les ragots d'Onfray trouvé un admirateur boutonneux et alter mondialiste, ce livre donc, est celui d'un peintre, dont les coups de plumes ont le même tranchant que les coups de pinceau, dandy amusant et amusé dont la dent est aussi dure que les fonds de ses toiles. Lamalattie écrit comme il peint, il écrit d'ailleurs ce qu'il va peindre, et c'est mille fois plus réjouissant que tout ce que l'on peut voir et lire aujourd'hui des installateurs et performers qui dominent le marché noir de l'art.
Le narrateur, peintre pour un temps, fonctionnaire pour l'autre, est toujours dans la position du gardien de but au moment du penalty, c'est dire que ce qui l'attend n'est pas si je puis écrire, de tout repos, il croise ces humanoïdes qui tentent à chaque seconde de se coller à votre peau, pour souvent vous la faire, comme une moule à son rocher, et réussit avec talent à s'en éloigner, car il est des fréquentations qui sont tout aussi risquées que celle des islamistes slameurs, des écologistes rapeurs ou des frontistes à capuches, l'enfer est là, et il le sait, pense-t-il, mais heureusement qu'il écoute Mozart avec sa mère ou flirte vivement avec une amoureuse retrouvée dont les seins méritent bien un roman.




" Quoi de mieux, en effet, pour parler de la vie des hommes et des femmes d'aujourd'hui, que des curriculum vitae ? C'est, à notre époque, un exercice qui a beaucoup de pratiquants. Un CV, c'est moins long qu'une biographie et souvent plus vrai... plus tragiquement vrai... Les cabinets de recrutement sont formels : un bon curriculum vitae, ça doit se lire d'un seul coup d'oeil. C'est quelques mots-clés et un bon visuel. Pas besoin de se cacher derrière les détails. Il faut résumer une vie à l'essentiel. D'ailleurs, avec un peu d'entraînement, l'existence se résume très facilement. Donc, mes peintures seront des sortes de curriculum vitae ; en haut le prénom de l'intéressé, au milieu son portrait, façon photo d'identité, brossé dans des gris argentiques, en bas quelques mots résumant ou révélant sa vie.
L'exposition serait intitulée simplement :
121 curriculum vitae pour un tombeau " (1)



" Quand un fond part bien, on a l'impression que des hasards y déploient naturellement des formes. Je prends un exemple. Dans un vieux mur, il y a des coulures, des salissures, des tags, des morceaux d'affiche déchirées, des mousses, des lichens. Toutes ces détériorations sont intervenues au hasard, mais on sent bien que ces aléas obéissent à une certaine logique et produisent une impression d'unité. Le fond d'une peinture, c'est un peu la même chose. Je suis attaché à ce qu'il y ait des hasards, qu'il y ait une richesse de formes dépassant la rationalité de l'artiste. J'aime bien que le fond crée une espèce d'état de nature dans lequel, dans un deuxième temps, la figuration interviendra. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) 121 curriculum vitae pour un tombeau / Pierre Lamalattie / L'Editeur / 2011

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