samedi 20 septembre 2014

Bye Bye Elvis dans La Cause Littéraire





« L’amour cette fois encore lui échappe. Toujours Ginger file, lui à peine endormi, elle file comme la jeunesse et la beauté d’Elvis filent chaque jour un peu plus, elle est un reflet de son passé disparu ».

« Chez lui c’était parfois comme si entre la jeunesse et la grande vieillesse, il n’y avait rien eu, comme s’il y avait de moins en moins. John White était une chandelle brûlée par les deux bouts, et vierge au milieu ».
 
Ce livre pourrait s’appeler Reflets dans l’œil de l’écrivain. Reflets de l’idole mondiale du glamour et du rock and roll dont la légende se fissure, reflets d’un autre américain à Paris qui n’en finit pas de tomber sous le regard d’Yvonne entrée par hasard à son service. Les hommes chutent sous les yeux de Caroline De Mulder, Elvis et John que le destin aimante vers le plan final, comme un dernier carton qui sert de point final à leur histoire, à leur film, où une main maladroite griffonne The End. Les héros du livre chancellent, se relèvent, ne sont dupes de rien, et surtout pas de ce qu’il leur arrive, l’un accepte tout, les concerts et les films les plus farfelus sous l’œil de vautour du Colonel, l’hystérie générale qui lui colle à la peau, l’autre s’invente les richesses qu’il n’a plus, joue son va tout, alors qu’il sait que son corps n’en peut mais, mais il y a Yvonne, cet ange gardien, qui ressemble tant à sa mère fauchée en pleine fleur.
 
« La foule, il sait par où la prendre. Parfois elle est sous le choc, à voir cette garçonne ses jambes ses hanches, mais elle pardonne tout d’avance et elle le bénit. Elvis est tout en tendons, et les secousses de ses membres inférieurs, qui à son public paraissent si coquines, si provocantes, sont surtout de la nervosité ; les plus perspicaces se demandent s’il va tomber ».
« John White, c’était un magasin de porcelaine dans un éléphant. Il déplaçait la boutique précautionneusement, à tout petits pas et en s’appuyant sur sa canne pour bien équilibrer. Il manquait sans cesse de trébucher, au moindre mouvement tutoyait le désastre. Mais quand il ne bougeait pas, le pire était à craindre. Le pire a fini par arriver. D’un coup ».

Face au pire qui se glisse comme une chanson dans ce roman, Caroline De Mulder mise à la fois sur de beaux instants d’admiration pour Elvis, elle l’accompagne en chaloupant dans les pires instants de sa carrière. Sous la plume de l’écrivain, il résiste, en devient même attachant, on comprend ce qui l’habite profondément, ce qu’il croit de la musique noire de son enfance, ce qu’il sait des mirages qui l’assaillent. Même chose avec Yvonne et John White ce couple impossible qui résiste, qui vit ses éclats et ses folies sous la main de l’écrivain, belles manières de faire confiance à ses personnages et à son style, les uns ne vont pas sans l’autre.
« Elvis est suivi de près : tous les jours des injections multiples, de vitamines notamment, et en continu un traitement musclé pour la gorge – la fameuse « angine de Las Vegas » dont souffrent la plupart des artistes, à cause de l’air du désert si sec, si poussiéreux. Il traite sa gorge à en perdre la tête ».
« Comme il avait l’air étrange, énorme, rasé, les cheveux ondulés sur le dessus de la tête, avec ses lunettes de soleil démesurées en plein mois de décembre. Quand je l’accompagnais au solarium ou au Freedom, tout le monde se retournait sur nous. John White était ravi ».

Elvis et John n’ont cessé de malmener leur corps, et ces corps s’avancent avec une belle pudeur dans Bye Bye Elvis. Même au pire instant, l’écrivain sait leur donner leur chance, il suffit d’y regarder de près, ce qu’elle fait, de voir au-delà des apparences pour magazines, du stress et des drogues. Ils ne cessent de bouger, même lorsqu’ils restent sans envies, assis ou couchés sous l’œil des gardes du corps ou d’Yvonne, deux corps dont le souvenir persiste comme une ritournelle que l’on croyait oubliée et que l’on murmure du bout des lèvres sans trop savoir pourquoi.
 
Philippe Chauché













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