« Ce
soir-là, toute la faune qu’on pouvait croiser chez Raymond semblait
réunie : marins d’eau douce, maquereaux à gourmettes, assassins en
goguette, éjaculateurs précoces, footballeurs manchots, canailles
boiteuses, militaires pacifistes, crooners baroques, sionistes repentis,
médecins fumeurs, amants éconduits, schnorers polyglottes, rabbins
défroqués, chômeurs prospères, troubadours sédentaires et probes
antiquaires ; des petites frappes, des causeurs impénitents et des
grands cœurs, des valeureux et des seigneurs, des Séfarades avec un S
majuscule qui ne donnaient pas d’argent au KKL, ne buvaient jamais du
Coca Light et ne promenaient pas leur maîtresse en Porsche Cayenne – ils
n’avaient pas de Porsche Cayenne ».
Jacques Koskas traverse ses révolutions
un peu comme Woody Allen ses films, un pied dans le judaïsme, l’autre
dans les soirées où l’on ne reste jamais très longtemps un verre vide à
la main.
Journaliste
noctambule, Jacques Koskas se jette dans la vie comme Garrincha se
lance à l’assaut de la cage du gardien adverse. Il n’est pas à un
canular économique et amoureux près, trompant son petit monde avec un
détachement amusé, qui n’est pas sans risque. Comme le metteur en scène
New Yorkais il fourmille d’astuces pour rater tout ce qu’il entreprend,
se prend régulièrement les pieds dans les tapis, s’étale, se relève et
s’invente sur l’instant une nouvelle révolution. Jacques Koskas arpente en clown érotique et avec plus ou moins d’éclats l’Absurdistan,
de Paris aux Amériques, de Berlin à Tchernowitz, pour s’achever à
Ramat-Gan, traquant avec nonchalance la panthère de ses rêves.
« La cosmogonie de Jacques Koskas
était complexe. Admiratif et reconnaissant à l’Etre Suprême d’avoir créé
l’edelweiss, la carotte et la femme en une semaine, il lui en voulait
cependant d’avoir disparu et confié les clés de son jardin à l’Homme
sitôt le doux péché consommé. Un vilain tour qui avait provoqué quelques
catastrophes mineures ».
Les catastrophes peuplent les révolutions
de Jacques Koskas, il est même excessivement doué pour les provoquer.
On se croirait par instants dans un film de Laurel et Hardy dont les
cartons seraient signés Sénèque. Jacques Koskas a pourtant mille idées
toutes plus piquantes les unes que les autres, transformer un jeune
joueur de football brésilien en star d’une équipe des Émirats, inviter
dans une lettre hilarante Hugo Chávez à quadrupler le prix du pétrole
brut, écrire et publier Israël, une révolution érotique, où il
défend l’idée que les premiers pionniers passaient autant de temps à
forniquer qu’à construire leur nouvel état, et que l’un n’allait pas
sans l’autre. Ce qui on le comprend facilement n’est pas du goût de tout
le monde.
« Le travail de la terre sculpterait
les corps et les âmes. Exergue de la force physique, culte de la
jeunesse, prophétie révolutionnaire : les pionniers qui s’uniraient la
glèbe d’Israël féconderaient des surhommes sensuels. Nulle santé
étincelante sans pratique assidue du coït, socle et burin de la nation
régénérée ».
Les histoires d’amour de Jacques Koskas
finissent toujours très mal. Il a la phobie des abeilles, mais ne cesse
de butiner ses conquêtes en surhomme sensuel, jusqu’à sa
rencontre avec une pianiste allemande qui va faire exploser ses désirs
en tension, un rêve de plus qui s’effondre pour finir sur le banc de
touche. Olivier Guez en amateur lettré du football multiplie les écarts,
les débordements, les dribles, les esquives et les chutes de son héros,
jusqu’à la dernière phrase sifflée comme un pénalty qui tombe comme la
lame d’une guillotine. Olivier Guez en amateur éclairé du mouvement de
la littérature signe un petit livre brillant, sautillant, éclatant,
éclairant, à l’humour féroce et troublant. Olivier Guez en écrivain aux
aguets réussit avec Les révolutions de Jacques Koskas un premier roman qui va longtemps résonner comme la clameur qui accompagne un but en or.
« A pas de loup il gagna la salle de
bains, se donna un coup de peigne et se regarda longuement dans le
miroir. Avec sa grande barbe et son accoutrement bohème, il avait plutôt
fière allure, on aurait dit un hipster de San Francisco ou Jean-Claude
Brialy dans Le genou de Claire ».
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/les-revolutions-de-jacques-koskas-olivier-guez
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