vendredi 17 octobre 2014

Rentrée Littéraire






« Ainsi c’est Frankenstein qui m’apprit à mourir et à renaître. C’est sa mort, dans les eaux glacées fictives d’une scène, qui m’a fait résister au monde tel qu’il se présentait pour accéder à celui de l’invisible. Dans la peur et la conscience du danger. Je vis que dans l’histoire on avait le droit de se révolter pourvu qu’on joue sa vie ».

Naissance du roman : une ville, un corps, une tempête théâtrale dont les éclats scintillent de page en page, mais aussi, un poète en disgrâce et en Acte permanent, des amours gagnés et perdus, des passions, et une certitude chevillée à la peau : la littérature sauve des tumeurs du monde. De Bordeaux à Londres en passant par Naples et Rome, la vie incandescente du Cercle des tempêtes embrase les corps et les idées, celles de Shelley, Fanny, Harriet, Mary, Byron, guerre sociale permanente dans l’Europe du début du 19° siècle. Frankenstein, Prométhée délivrée, Les Cenci, ils sont là sous nos yeux ces livres de tous les dangers qui flamboient sous la main romanesque de Judith Brouste, qui sait qu’être attentif aux révoltes qui se lèvent revient à être soucieux de la manière dont tout cela se vit et s’écrit.

« Un jour de juillet, il est au café, chemise et gilet ouverts. La chaleur est immense. Dehors, sur les pavés, résonnent le sabot des chevaux, le cliquetis des harnais, le grondement des roues. Harriet, la fille du cafetier, encore écolière, s’assoit à sa table : Elle avait seize ans, une belle allure, légère, active et gracieuse. Pour la première fois, il se confie, parle de ses projets : vivre différemment, à part ».

Vivre différemment et écrire différemment, voilà le projet de Shelley que poursuit Judith Brouste et voilà sa réussite. Le cercle des tempêtes est à mille lieux du roman historique, de sa frigidité installée. A chaque poème, à chaque phrase du roman, il s’agit d’enchanter les corps et la révolte, même si la chaleur est immense, même si la douleur s’invite, les trahisons, les renoncements, les créanciers, les espions, même si la mort tourne dans la nuit comme les sorcières de Shakespeare, même si les plus belles raisons s’enflamment dans les plus troublantes déraisons. Suivre page à page la vie tumultueuse de Shelley, voilà l’aventure romanesque qu’insuffle l’écrivain, voilà l’aventure qu’elle s’offre et nous offre, vitesse du roman, de l’amour, de la guerre sociale et de la poésie prise entre glace et feu.

« En poésie, c’est toujours la guerre. Comment s’échapper de cette vie ? Elle est ailleurs. Il faut lutter pour exister, face aux autres, face au monde insignifiant, satisfait de sa médiocrité. Pour Shelley, il s’agit alors de tenir, de créer sa propre loi. Écrire est la clé de voûte de ce dispositif ».

En littérature c’est toujours et plus que jamais la guerre du goût, et il n’est pas surprenant de savoir que Le cercle des tempêtes soit publié par un expert, Philippe Sollers. Shelley, l’aristocrate sans qualités, l’ami des corps, des rebelles, de la nature et du verbe, trouve dans ce roman le plus beau des miroirs, en s’y penchant il découvrira les ombres portées de Cravan et Debord, deux autres figures de mauvaise réputation, et en prenant un peu de recul, la vibrante évocation de sa liberté libre. La propre loi du roman a échappé aux lecteurs professionnels des prix littéraires, pas lu, pas pris, pourrions-nous leur répondre.

« Où est Shelley ? Que fait-il ? Il continue de donner des nouvelles du monde, dans le secret troublant de la naissance du temps ».

Où est Judith Brouste ? Que fait-elle ? Elle continue d’écrire Le Cercle des Tempêtes, errance stylée dont elle trace les lignes vibrantes, le cœur intact au milieu des flammes.








« Affirmer que j’allais là-bas pour une cure, était-ce dire la vérité ? Jusqu’à quel point était-ce vrai ? A quelle strate de la vérité cette affirmation appartenait-elle ? Etait-elle vraie pour tout le monde ? En tout cas, elle ne l’était pas pour moi. Ni pour ma mère. N’empêche que lorsque P. m’a demandé pourquoi je voulais y aller, j’ai répondu, pour faire une cure, et je n’ai pas éprouvé de remords ».

Partir pour trouver un nom et un visage. Le nom, le visage, le regard du père, et pour cela passer par la maladie et la douleur. Han le narrateur du roman de LEE Seung-U fait ce voyage armé de quelques lectures troublantes : Rilke, Gary, Kafka, et accompagné du bacille qui le colonise. Partir pour trouver ce qui l’empêche de marcher, une perte, un doute, un pressentiment, comme une frontière militaire qui sépare sa Corée de l’autre. Le Regard de Midi est un livre où le moindre geste, la moindre parole, l’acte de vie est saisi par ce tremblement, cette terreur souterraine, signe que la maladie fait son chemin. Tout y est gris, sombre, désespéré, même si par instants le narrateur laisse son regard s’illuminer par les éclats de la nature qui l’entoure.

« De temps à autre, je sortais me promener. Des pins pignons, émanait un parfum intense et apaisant. Le vent, cette main immense de la nature, caressait les arbres et les herbes, les oiseaux chantaient chacun de son timbre distinct, certains avant le lever du soleil, d’autres après son coucher. Un jour, au crépuscule, j’ai vu un lapin couleur de cendre sautiller comme pour épargner les herbes ».

Écrire pour vérifier que l’on a toutes les raisons du monde d’exister, que celui à qui l’on doit la vie est bien réel, vivant, qu’il n’attend que cette rencontre pour retrouver la mémoire vive de sa jeunesse. Vérité du narrateur ou mensonge du roman ? Le Regard de Midi est cette recherche du père perdu, imaginé courant nu dans la forêt, deviné derrière les murs de la ferme Yonghwa, croisé dans un meeting électoral, senti dans la nuit. Han accumule les preuves de sa présence, il s’obstine, il veut l’entendre lui demander : pourquoi es-tu venu me trouver ?

« Je ne sais pas ce que ses antennes ont perçu et saisi. Sans se départir de son sourire, il a hoché la tête à plusieurs reprises pour acquiescer, mais à quoi ? J’ai tout de suite compris que son sourire, sa main tendue mais aussi ses hochements de tête n’étaient rien d’autre que des gestes, des tics où il n’y avait pas de cœur ».

Partir pour écrire sa destinée, se laisser prendre par l’ombre du château de K, tisser la toile qui va se refermer, se laisser entraîner par ses rêves et ses espoirs, se faire enfermer par un étrange ange noir au bras inerte pour ne pas troubler le jeu électoral de son père, LEE Seung-U construit un roman sombre, sec, peuplé de fantômes, terrifiant par instants, où l’on se demande si le narrateur n’a pas par surprise traversé la frontière militaire qui le sépare du Nord et de sa dictature.

« J’étais assis, seul, sur un canapé au cuir râpé par endroits, assez large pour accueillir trois personnes. Trois clous pointaient au mur au-dessus de ma tête, de vieux clous survivant à quelque fonction abolie. Devant moi, un téléviseur seize pouces, éteint, écran noir, et rien d’autre ».

Partir pour écrire sur un regard fuyant, un manque, une fuite, une douleur, tout est vrai, mais tout est comédie et tragédie, seul reste le bois de Chonnae, où le narrateur rêve de se perdre pour y retrouver l’homme nu qui court et le hante, et courir à son tour dans ce rêve insensé, mais P. son invisible amoureuse le sauvera en chanson : « Toi qui es né pour être aimé… »

Philippe Chauché

http://www.lacauselitteraire.fr/le-regard-de-midi-lee-seung-u




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