dimanche 1 novembre 2015

Michaël Ferrier dans La Cause Littéraire


« Ces gens étaient des aventuriers, des Outre-mer. Ils venaient de loin, de l’Inde, ou de l’Afrique, d’Europe ou bien de Chine, ils venaient de bien plus loin encore sur l’éperon de leur désir ; ils arrivaient de toujours, ils s’en allaient partout ».
 
En mémoire de Jean-Pierre B. qui n’aura pas eu le temps de le lire.
 
Les grands romans sont des cyclones. Ils s’annoncent par des frémissements, de légers bruissements, quelques vibrations, et par contamination romanesque, ces courants d’air chaud prennent force et vigueur, ils se lèvent comme une vague, déferlent et multiplient éclairs et éclats, et deviennent le mouvement même du roman. Mémoires d’outre-mer est un cyclone littéraire, un art du souffle, l’histoire d’un homme du vent, d’un homme volant, libre, qui survole une île et une époque, et qui se joue des trahisons de l’Histoire.
 
Tout commence par une découverte : trois tombes du cimetière de Mahajanga à Madagascar – Toutes trois sont presque identiques, même taille, même couleur, mêmes dimensions – celle de Maxime Ferrier, le grand-père de l’auteur, celle d’Arthur Dai Zong – son ami, et une troisième sans inscription, sans date, la tombe de l’absence.
 
Michaël Ferrier en écrivain curieux de son histoire, de l’Histoire de la France et de Madagascar, s’envole pour l’île, croise des témoins, ouvre des malles, pousse des murs, scrute le Pacifique et le ciel, pour écrire ce roman circassien sur son grand-père acrobate – j’embarque en clandestin sur le chariot de la nuit. Michaël Ferrier a l’art de faire de prénoms un roman, roman d’ultramarins qui ne craignent ni les dépressions, les coups de vents, ni les coups de mer et du destin.
 
« Explorer les marges, les silences, tel a toujours été l’un des secrets de l’acte d’écrire. Dans l’Histoire de France, les Mémoires sont des tombes. Des dispositifs parfaitement ingénieux, à fragmentation et à retardement. Eux seuls révèlent la complexité des temps, leur tourmente animée, leurs turbulences secrètes ».
 
Les grands romans sont changeants comme les ciels d’automne, ils passent du bleu au gris, du jaune au rouge, multiplient les nuances, foisonnent d’éclairs et d’éclats. Mémoires d’outre-mer est un roman d’aventurier sur un aventurier de la vie, un homme des airs – une vie de trapèzes et de cordes, de costumes d’argent et de cuivre –, un négociant – il vend un peu de tout – toute sa vie il sera rebelle à la « spécialisation » –, un résistant à la France moisie.
 
Mémoires d’outre-mer est un roman de la trace, la trace laissée par des hommes de vie et que des hommes de mort veulent effacer, un roman français sur des Français de branche, d’oreille et de convictionMémoires d’outre-mer est un roman des îles, d’une France multi-territorialeaux temporalités qui s’ignorent, se répondent, s’enlacent, se superposent… forgée par des hommes et des femmes aux semelles de vent.
Les grands romans travaillent ainsi la mémoire et les mémoires, les ruisseaux du réel se jettent toujours dans le fleuve du roman, et son art est de faire flamber ces mémoires comme un ciel d’automne, et comme flambe un trapèze sous les feux d’un chapiteau.
 
Ce roman est aussi celui de Pauline, qui joue du piano et lit des poèmes à Maxime – elle sarabande le long du boulevard ses formes elliptiques –, des enfants qui volètent sur la plage de Mahajanga, d’Arthur, frère des airs et frère d’armes, de la malice, des dénonciations, de la Guerre et de son Art qu’il convient d’avoir en mémoire, mais aussi de la grâce, de la futilité, de la douceur et de la révolte heureuse.
 
« Maxime et Arthur ont vécu toute leur vie outre-mer. Toute une vie en deçà et au-delà de l’eau. Ils sont là, perchés, aux abords. Ce sont des êtres aquatiques, leur vie se déploie par affluents, courants de coraux, roseaux ».
 
Les romanciers importants sont toujours des historiens précis et renseignés, leurs oreilles sont fines et aiguisées comme leurs plumes, et ils ont pour eux le savoir et le style – cette bénédiction divine.
Mémoires d’outre-mer regorge de faits précis, d’histoires qui nourrissent et se nourrissent de l’Histoire de France et de Madagascar, de celle de Vichy et sa lugubre littérature – Soudain, la langue de Montaigne et de Voltaire ne charrie plus que des slogans boursouflés – et du projet Nazi de déporter dans l’île les Juifs européens. Mémoires d’outre-mer résonne de voix, venues de l’île ou de Londres – Le soleil se lève à l’est le dimanche – de résistances joyeuses, mais aussi de douleurs – La mort à ce moment tire le verrou. Un fond de néant se lève – et de cyclones – ils déchirent les belles maisons et les livres – mais le calme et soleil revenus, de nouvelles pages luxuriantes peuvent s’écrire.
 
Philippe Chauché
 

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