mercredi 19 novembre 2008
Milan Kundera - AFP
Oublions les mensonges, les diffamations, les imprécations, les anathèmes, le venin. L'écrivain est là, devant nous, il oppose à cette maladie du siècle, son art, celui du roman, on devrait le savoir, mais en ces temps de malédiction, il n'est pas inutile de le rappeler, lisons, ces mots là sauvent de toutes les allégations de la police politique :
" IRONIE. Qui a raison et qui a tort ? Emma Bovary est-elle insupportable ? Ou courageuse et touchante ? Et Werther ? Sensible et noble ? Ou un sentimental agressif, amoureux de lui-même ? Plus attentivement on lit le roman, plus la réponse devient impossible car, par définition car, par définition, le roman est l'art ironique : sa " vérité " est cachée, non prononcée, non-pronçable. " Souvenez-vous, Razumov, que les femmes, les enfants et les révolutionnaires exècrent l'ironie, négation de tous les instincts généreux, de toute foi, de tout dévouement, de toute action ! " laisse dire Joseph Conrad à une révolutionnaire russe dans Sous les yeux d'Occident. L'ironie irrite. Non pas qu'elle se moque ou qu'elle attaque mais parce qu'elle nous prive des certitudes en dévoilant le monde comme ambiguïté. Léonardo Sciascia : " Rien de plus difficile à comprendre, de plus indéchiffrable que l'ironie. " Inutile de vouloir rendre un roman " difficile " par affectation de style ; chaque roman digne de ce mot, si limpide soit-il est suffisamment difficile par sa consubstantielle ironie. " (1)
Inutile de porter une oreille aux rumeurs, aux assassinats, aux mensonges, à l'horreur dominante, le roman résiste, comme il l'a toujours fait, à tout ce tapage :
" ... Je dis donc que les femmes, ayant reçu des penchants bien plus violents que nous aux plaisirs de la luxure, pourront s'y livrer tant qu'elles le voudront, absolument dégagées de tous les liens de l'hymen, de tous les faux préjugés de la pudeur, absolument rendues à l'état de nature ; je veux que les lois leur permettent de se livrer à autant d'hommes que bon leur semblera ; je veux que la jouissance de tous les sexes et de toutes les parties de leur corps leur soit promise comme aux hommes ; et, sous la clause spéciale de ce livrer de même à tous ceux qui le désireront, il faut qu'elles aient la liberté de jouir également de tous ceux qu'elles croiront dignes de les satisfaire. " (2)
Face au désastre organisé, nous avons dans les mains ces livres, qui sont autant d'armes du bonheur et de la joie, le chemin peut paraître difficile, mais point de frayeur, il faut la laisser aux admirateurs du diable :
" Un néant de nuances où l'on se baigne immobile, ça s'ouvre n'importe où, n'importe quand : à trois heures de l'après-midi dans un square, en plein métro, ou au milieu d'une conversation ; alors un frémissement traverse les arbres, les banquettes, les tasses de café. A partir du moment où l'on a douté une fois de la réalité de l'existence, ce qui s'est entrebâillé ne se referme plus vraiment ; le néant se promène librement entre les choses, il se familiarise avec leur étrangeté, il devient pour vous une évidence. Et s'il vous arrive de faire confiance à ce vide qui vous sauve des faux-semblants, alors il sera toujours là, comme le filigrane de vos gestes, et parfois, quand vous baissez la garde, il vous remplacera. Ne soyez pas terrifié : l'abîme vous fait signe depuis lui-même, mais c'est de l'arbre, de la banquette ou de la tasse qu'il vous invite à jouir. Cette jouissance est l'élément du vide qui m'en venu en croisant Mara sur le pont de Bir-Hakeim : écumant comme une pluie grasse, couleur d'elle-même en fruit. Et ces visions forment des heures étranges qui, bout à bout, font un ruban de velours où viennent s'écrire ce que je nomme en souriant mes pensées. Car lorsqu'on passe toute chose au vide, et sa vie elle-même, et qu'on en revient gorgé de néant pour quelques jours, quelques semaines, quelques mois, en attendant le prochain saut, les noms qu'on donne à ces choses semblent dérisoires, et les pensées comiques. Seul le vide parle en elles, et les conduit dans le temps. Le monde s'ouvre ainsi ; ce qu'on nomme " la vie " n'existe pas autrement. " (3)
Nous voila avertis, place au bonheur, à la musique et au verbe :
" Mesa
Est-ce que tout est fini, Ysé ?
Ysé
Tout est fini !
Mesa
Est-ce qu'il n'y a plus rien à craindre ?
Ysé
C'en est fait.
Mesa
Plus rien, plus rien à attendre ?
Ysé
Plus rien que l'amour à jamais, plus rien que l'éternité avec toi !
Mesa
Je ne puis me débarrasser de cette Ysé ?
Il ne m'est pas possible
De me défaire de ces deux mains de femme à mes flancs ?
Ysé
Il ne t'est pas possible. Où tu es, je suis avec toi. " (4)
à suivre
Philippe Chauché
(1) Milan Kundera / L'art du roman / Gallimard
(2) Sade / Français encore un effort si vous voulez être républicains / in La Philosophie dans le boudoir / POL
(3) Yannick Haenel / Evoluer parmi les avalanches / L'Infini / Gallimard
(4) Paul Claudel / Partage de midi / Gallimard
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